Paris, un projet artistique par temps de pandémie

Chaque acteur de la ville s’interroge aujourd’hui sur les nouvelles pratiques auxquelles il va être confronté et auxquelles il va devoir s’adapter dans un avenir proche.

 

Afin d’anticiper ces évo­lu­tions, le col­lec­tif GFR, une asso­cia­tion d’art urbain, a cher­ché à com­prendre le vécu d’un quar­tier en poli­tique de la ville pen­dant et après le confi­ne­ment. En amont de la réa­li­sa­tion d’une œuvre de street art dans le quar­tier Charles-Her­mite (18e arron­dis­se­ment), l’association m’a com­man­di­té une étude sur le rap­port à l’espace public de ses résidents.
Finan­cée par le bailleur social Paris Habi­tat, la mai­rie du 18e arron­dis­se­ment et la Caisse d’allocations fami­liales (CAF), l’étude a com­por­té des ren­contres avec des acteurs du quar­tier et des entre­tiens indi­vi­duels et col­lec­tifs avec 16 résident·e·s et 8 usager·e·s.

Avec 1 289 loge­ments et 2 558 rési­dents, Charles-Her­mite pré­sente des indi­ca­teurs de pau­vre­té éle­vés. Situé entre les portes de la Cha­pelle et d’Aubervilliers, encla­vé entre le péri­phé­rique et une zone logis­tique, il se démarque par son uni­té bâtie, ses murs de brique rouge et ses immeubles en quin­conce. Le quar­tier est, pour la plu­part de ses rési­dents, comme un vil­lage – un endroit où l’on ren­contre amis et famille au hasard des rues, où tous se connaissent et où les jeunes adultes qui s’approprient les espaces publics sont sou­vent vus comme une pré­sence ras­su­rante en mesure de pro­té­ger les résidents.
Son pas­sé récent est mar­qué par une occu­pa­tion des espaces publics par des popu­la­tions toxicomanes.

La réac­tion d’un col­lec­tif d’habitants cher­chant à se sai­sir de cette pro­blé­ma­tique par des blo­cages de tram­ways en décembre 2019 a eu des échos dans les médias et a coïn­ci­dé avec l’évacuation du cam­pe­ment de la porte d’Aubervilliers, au début de l’année 2020, par la pré­fec­ture de police. Pour ses rési­dents et usa­gers, l’espace public pen­dant et depuis le confi­ne­ment est asso­cié à la mala­die, à la coha­bi­ta­tion renou­ve­lée avec la toxi­co­ma­nie et à la créa­tion de nou­velles solidarités.

 

Une incompréhension

Ce quar­tier popu­laire, où le confi­ne­ment a été bien res­pec­té, a été décrit comme vide et calme par l’ensemble des per­sonnes inter­ro­gées, le choix de res­ter à demeure étant sou­vent asso­cié à la peur du virus en dehors du loge­ment. Le quar­tier a, en effet, été mar­qué par une pré­sence forte de la mala­die. Chaque per­sonne ren­con­trée a connu au mini­mum un malade dans son entou­rage et par­fois plu­sieurs décès. Plu­sieurs n’ont pas pro­fi­té des balades quo­ti­diennes auto­ri­sées, alors qu’elles n’étaient pas à risques et cer­tains enfants n’ont eu droit à aucune sor­tie pen­dant toute la durée du confinement.

Tan­dis que les rési­dents se sont adap­tés à la contrainte de res­ter chez eux, le confi­ne­ment a été syno­nyme du retour des popu­la­tions toxi­co­manes dans la rue et d’une aug­men­ta­tion des acti­vi­tés liées à la drogue et à la pros­ti­tu­tion. Cette situa­tion a don­né lieu à une forme d’incompréhension, voire un sen­ti­ment d’injustice pour les rési­dents. Quand ces der­niers se dis­ci­plinent, des per­sonnes à la dérive se détruisent sans accom­pa­gne­ment, ni sanc­tion. Le confi­ne­ment a donc contri­bué à la mise en visi­bi­li­té de scènes dif­fi­ciles et par­fois vio­lentes pour tous les usa­gers de ces espaces qui, sans tenir un dis­cours de haine, attendent une réac­tion des auto­ri­tés pour prendre en charge ces occu­pants. Dans ce contexte, les habi­tants ont entre­te­nu un rap­port ambi­va­lent à l’espace public. Le faible nombre de pas­sants sus­cep­tibles de pro­té­ger de poten­tielles agres­sions pousse cer­taines per­sonnes à chan­ger d’itinéraires, des stra­té­gies qui sont main­te­nues après la fin du confi­ne­ment. Début juillet, cer­tains ont repris des habi­tudes très proches de celles d’avant la pan­dé­mie. D’autres évitent encore tout type de ras­sem­ble­ment. Sur­tout, tous décrivent des rap­ports anta­go­nistes à l’autre dans l’espace public, cer­tains crai­gnant la proxi­mi­té retrou­vée quand d’autres sont déran­gés par les stra­té­gies d’évitement mises en place par la majo­ri­té des pas­sants vis-à-vis de leur propre corps.

Les espaces exté­rieurs, cours et jar­dins du quar­tier, ain­si que les espaces publics sont éga­le­ment le lieu des soli­da­ri­tés, là où, pen­dant et depuis le confi­ne­ment, un col­lec­tif de rési­dents se mobi­lise pour rendre le quar­tier plus agréable à vivre. C’est ain­si qu’en plein confi­ne­ment, ils ont amé­na­gé une cour arbo­rée habi­tuel­le­ment fer­mée et y ont pro­po­sé des sor­ties aux per­sonnes âgées. C’est dans l’espace public qu’ont lieu une grande par­tie des dis­cus­sions pour l’organisation d’évènements, telles les dis­tri­bu­tions ali­men­taires heb­do­ma­daires pen­dant le confi­ne­ment, puis tout le mois de juillet2. Plus récem­ment, les rési­dents ont eux-mêmes amé­na­gé un nou­vel espace de vie sur une pla­cette et orga­ni­sé des soi­rées ouvertes à tous pen­dant le mois d’août.

À Charles-Her­mite, comme dans de nom­breux quar­tiers, l’espace public a été le lieu de ren­for­ce­ment de dyna­miques exis­tantes. Les ins­ti­tu­tions locales, les asso­cia­tions, y com­pris le col­lec­tif GFR, dont les œuvres d’art au sol seront réa­li­sées au mois d’octobre, se sai­sissent de l’importante mobi­li­sa­tion des rési­dents et l’encouragent. Les enjeux concer­nant la coha­bi­ta­tion avec la toxi­co­ma­nie doivent quant à eux être trai­tés à une autre échelle.

Rachel Mul­lon

Pho­to : © Antho­nin Robineau/collectif Le Réseau

 

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