Le ZAN en questions

Un débat avec 3 experts : Domi­nique Métreau, Chambre d’agriculture d’Alsace, Georges Lin­gen­held, pré­sident du groupe Lin­gen­held, Xavier Des­jar­dins, géo­graphe, pro­fes­seur (Sor­bonne Université).

Lors de la 41e Ren­contre des agences d’urbanisme, l’atelier « Nous avons mis fin à l’artificialisation des sols, on vous explique com­ment ! » a pro­po­sé une vidéo pros­pec­tive puis a lan­cé le débat.

 

Les points de vue

Quelle est votre vision du ZAN ?

Domi­nique Métreau/ Si les emprises agri­coles se tra­dui­saient par un coût sub­stan­tiel plus éle­vé pour les amé­na­geurs, ces der­niers seraient peut-être plus éco­nomes de ce fon­cier. Au sujet de l’artificialisation en zone agri­cole, le dis­po­si­tif « Évi­ter, réduire, com­pen­ser » (ERC) est moins effi­cace que celui exis­tant pour les impacts envi­ron­ne­men­taux. En effet, une série de cri­tères écartent de nom­breux pro­jets d’aménagement du dis­po­si­tif, notam­ment à cause d’un seuil de 5 ha et de la notion d’étude d’impact sys­té­ma­tique. Ce n’est pas un vrai dis­po­si­tif dis­sua­sif. Il fau­drait élar­gir ce dis­po­si­tif à beau­coup plus de projets.
Par ailleurs, il faut abso­lu­ment limi­ter la consom­ma­tion fon­cière, car si on nous dépos­sède d’un des fac­teurs de pro­duc­tion, com­ment peut-on com­pen­ser la valeur ajou­tée per­due ? Les amé­na­geurs pour­raient, par exemple, opti­mi­ser les par­kings en créant des ouvrages sur ou sous les grandes sur­faces. Atten­tion éga­le­ment au risque de fra­gi­li­sa­tion du sec­teur agri­cole fran­çais en déve­lop­pant de façon très impor­tante les mesures com­pen­sa­toires envi­ron­ne­men­tales des pro­jets d’aménagement sur l’espace agricole.
Nous ris­quons ain­si de limi­ter notre poten­tiel de pro­duc­tion et, au bout du compte, d’importer, par exemple, plus de pou­lets venus de bien loin avec des normes de pro­duc­tion peu satisfaisantes.

Quid d’une taxe arti­fi­cia­li­sa­tion, comme une taxe carbone ?

Domi­ni­que Métreau/ Si les reve­nus de la taxe n’ont pas de retom­bées concrètes sur l’économie agri­cole, cette der­nière n’aura que peu d’intérêt.

Pour­quoi la mise en œuvre de zones agri­coles pro­té­gées et de PEAN (pro­tec­tion d’espaces agri­coles et natu­rels péri­ur­bains) est-elle mal accep­tée par les agriculteurs ?

Domi­ni­que Métreau/ Ce sont plu­tôt les pro­prié­taires qui pour­raient être oppo­sés à ce type de dis­po­si­tifs et les agri­cul­teurs sont très majo­ri­tai­re­ment des fer­miers. Du point de vue des agri­cul­teurs, il y a géné­ra­le­ment une méfiance vis-à-vis de tous les zonages, notam­ment par rap­port à la construc­tion de bâti­ments agri­coles. Or, ces der­niers peuvent être néces­saires pour la diver­si­fi­ca­tion des sys­tèmes de pro­duc­tion (déve­lop­pe­ment des cir­cuits courts, ou des besoins de serres…). Si la sanc­tua­ri­sa­tion des terres est totale, les agri­cul­teurs vont être gênés pour le déve­lop­pe­ment de leur outil de production.

 

Quelle est votre vision du ZAN ?

Georges Lingenheld/ Le groupe Lin­gen­held est déjà un acteur du ZAN depuis plu­sieurs décen­nies : déconstruction/reconstruction, désa­mian­tage, recy­clage des maté­riaux de construc­tion pour sup­pléer les car­rières, trai­te­ment bio­lo­gique des sols. Mais para­doxa­le­ment ces acti­vi­tés ont eu des besoins de fon­cier pour se déve­lop­per et en néces­si­te­ront encore pour la mise en œuvre du ZAN.
Notre pôle immo­bi­lier (habi­tat et éco­no­mique) est éga­le­ment consom­ma­teur d’espaces, « Il faut qu’on revoie notre carte […] mais la fin de l’artificialisation, ça me fait un peu peur », quand on dit fin, c’est presque la fin du monde.
Depuis la crise du Covid, les gens sont davan­tage à la recherche de loge­ments spa­cieux avec jar­din ou bal­con. Notre groupe en pro­duit 50 % en consom­ma­tion fon­cière, 10 % en dents creuses et 40 % en réha­bi­li­ta­tion de friches. Toutes les friches ne peuvent pas se conver­tir, ça dépend du pas­sif indus­triel et c’est très coûteux.

Quelle est la com­plexi­té de l’aménagement actuel­le­ment ? Et en par­ti­cu­lier, la mise en œuvre des mesures compensatoires ?

Georges Lingenheld/ Par exemple, pour un PPRI [zonage de res­tric­tion à l’aménagement pour des risques d’inondations], il faut 2 ans pour avoir l’autorisation de construire un Ehpad à 50 m d’un petit ruis­seau. De plus, les fouilles archéo­lo­giques ral­longent les délais de 6 mois à 1 an. Le CNPN (Conseil natio­nal de pro­tec­tion de la nature) ne devrait don­ner qu’un avis consul­ta­tif, mais il bloque des projets.

 

Quelle est votre vision du ZAN ?

Xavier Desjardins/ Selon le dic­tion­naire, ce qui est arti­fi­cia­li­sé est ce qui est pro­duit par la tech­nique. Du coup, l’agriculture devrait être consi­dé­rée comme arti­fi­cielle ? L’imprécision des termes, c’est l’imprécision des poli­tiques publiques.
C’est plus impor­tant qu’une his­toire de mot mal choi­si, parce que cela révèle que de nom­breux arbi­trages poli­tiques sur l’intention du ZAN ne sont pas encore rendus.
Avec le ZAN, l’objectif est de pla­ni­fier la rare­té volon­taire du recours au sol pour l’urbanisation. Le ZEN, c’est la même chose dans le domaine de l’énergie. Aujourd’hui, ce qui guide le long terme de la pla­ni­fi­ca­tion, ce sont ces pré­oc­cu­pa­tions envi­ron­ne­men­tales. « Vous avez dit qu’en 2040 on sera heu­reux, espé­rons-le ! Mais ne cachons pas qu’atteindre le ZAN néces­site de dépas­ser de nom­breux conflits poten­tiels ! » (cf. crise « gilets jaunes » sur la taxe carbone).

Quel est le com­pro­mis social qui rend ces rare­tés volon­taires pos­sibles, souhaitables ?

Xavier Desjardins/ La pla­ni­fi­ca­tion doit pas­ser par la défi­ni­tion d’un nou­veau com­pro­mis social. Qui va d’abord être contraint par ces nou­velles rare­tés ? D’abord les plus pauvres ? C’est aus­si un com­pro­mis ter­ri­to­rial. Res­treindre le rythme d’artificialisation n’a pas le même sens selon les dyna­miques démo­gra­phiques actuelles ou pas­sées (notam­ment s’il existe des friches). On pour­rait ima­gi­ner des scènes régio­nales de négo­cia­tion : les ter­ri­toires qui perdent des habi­tants pour­raient y gagner en « tro­quant » des droits à arti­fi­cia­li­ser avec les ter­ri­toires dyna­miques. On peut ima­gi­ner que les ter­ri­toires qui se déve­loppent doivent ain­si contri­buer à la réha­bi­li­ta­tion de friches en dehors de leur propre ter­ri­toire. Cela peut nour­rir les liens entre les métro­poles et les ter­ri­toires qui les envi­ronnent, ou à l’intérieur d’un réseau de villes moyennes. Cela peut être une pers­pec­tive pour nour­rir les contrats de réci­pro­ci­té, ou plus lar­ge­ment les alliances de territoires.

Quelles sont les impli­ca­tions éco­no­miques de ce chan­ge­ment de paradigme ?

Xavier Desjardins/ Réduire l’imperméabilisation des sols trans­forme les modèles éco­no­miques de la dis­tri­bu­tion, de l’agriculture ou des tra­vaux publics. Le modèle éco­no­mique de nom­breux sec­teurs est bous­cu­lé par cet impé­ra­tif. Rap­pe­lons que le ZAN est por­té par cer­tains acteurs comme un moyen « détour­né » de régle­men­ter le sec­teur de la dis­tri­bu­tion, pour limi­ter les entre­pôts Ama­zon, par exemple. Ce qui me per­met à nou­veau de poser une ques­tion : à tra­vers le ZAN, que cherche-t-on vraiment ?

Le débat

Le ZAN semble être un syn­drome de la patate chaude, entre l’État, qui dit ce qu’il faut faire, et les maires, qui n’ont pas for­cé­ment le choix. Du coup, com­ment peut-on arri­ver à une res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive ? Et sur­tout à une prise de conscience de cette res­pon­sa­bi­li­té collective ?

Georges Lingenheld/ La res­pon­sa­bi­li­té, il faut la lais­ser aux élus, en concer­ta­tion avec les citoyens. Si Ama­zon ne se fait pas en France, il se fera en Alle­magne. En Sarre, on est à 16 % d’artificialisation, et on ouvre 20 ha à l’urbanisation pour la fabri­ca­tion de bat­te­ries élec­triques, alors qu’on est à 9,5 % d’artificialisation en France.

Xavier Desjardins/ La pla­ni­fi­ca­tion a bas­cu­lé très for­te­ment. La pla­ni­fi­ca­tion des années 1960 à 1980 visait à dis­tri­buer les fruits de la crois­sance : où va-t-on mettre des routes, des col­lèges, les nou­veaux équi­pe­ments ? La pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale per­met­tait de gérer « spa­tia­le­ment » la file d’attente. On avait un hori­zon tem­po­rel, mais on ne pré­ci­sait pas clai­re­ment l’enchaînement des étapes. Avec la tran­si­tion, il y a un enjeu majeur à orga­ni­ser le calen­drier, car tout ne peut pas par­tir en même temps. Dans le domaine agri­cole, par exemple, cer­tains inves­tis­se­ments réa­li­sés récem­ment demandent au moins vingt ans pour être ren­ta­bi­li­sés. Faut-il attendre un nou­veau cycle d’investissement pour envi­sa­ger une muta­tion ou finan­cer col­lec­ti­ve­ment une muta­tion plus rapide ? À quel moment peut-on envi­sa­ger ces bifur­ca­tions ? Cer­taines pour­ront se faire en 2021, d’autres pas avant 2035, en fonc­tion des spé­ci­fi­ci­tés de chaque région, des dif­fé­rents sec­teurs éco­no­miques, des com­pro­mis sociaux…
Avec les enjeux envi­ron­ne­men­taux, la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale doit per­mettre de scé­na­ri­ser les étapes et les chaî­nages des transitions.

Domi­ni­que Métreau/ Le ZAN est une forme de radi­ca­li­té, il fau­drait plu­tôt par­ler de sobrié­té foncière.

Georges Lingenheld/ Il faut pen­ser à l’accessibilité à la pro­prié­té du tout un cha­cun : le rêve de la mai­son indi­vi­duelle. Pen­ser à la tra­jec­toire rési­den­tielle : louer un appar­te­ment jusqu’à 30 ans, puis ache­ter une mai­son indi­vi­duelle, et enfin, une fois retrai­té, la revendre pour rejoindre un appar­te­ment. C’est mor­tel de pas­ser de 90 à 10 à l’heure, comme quand vous êtes dans une voiture.

 

Brice Van Haa­ren, Agence de Stras­bourg (Adeus) et Syl­vain Rouault, Agence de Brest (Adeu­pa).

 

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