Philippe Rahm : « La forme suit le climat »

Philippe Rahm
L’architecte suisse Philippe Rahm explique son approche d’une architecture et d’un urbanisme « météorologiques ».

 

D’où vient votre approche de l’architecture ?

Phi­lippe Rahm/ L’architecture est en pre­mière ligne pour se battre contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique : les bâti­ments sont res­pon­sables de 39 % des émis­sions mon­diales de CO2, contre 23 % pour les trans­ports, majo­ri­tai­re­ment par les voi­tures, dont 2 % pour l’avion. En arrê­tant d’émettre du CO2 dans les bâti­ments, on rédui­rait d’un tiers les émis­sions de gaz à effet de serre. L’architecture de demain doit fonc­tion­ner sans déga­ge­ment de CO2. Comme on ne peut pas pas­ser immé­dia­te­ment au renou­ve­lable, même si l’épidémie de coro­na­vi­rus montre qu’on est capable de prendre des mesures fortes très rapi­de­ment, on doit, en atten­dant, réduire la consom­ma­tion d’énergie, dont 85 % est d’origine fos­sile (char­bon, pétrole, gaz natu­rel). En Suisse ou en Alle­magne, l’isolation ther­mique est pous­sée. En France, la régle­men­ta­tion ther­mique (RT 2012) est très en retard : elle impose 9 cm d’isolation contre 25 cm en Suisse. Les pertes par conduc­tion obligent à chauf­fer beau­coup plus. La future régle­men­ta­tion ther­mique devrait néan­moins impo­ser une aug­men­ta­tion de l’épaisseur d’isolation.

Sur les 39 % d’émissions de CO2 issues du bâti­ment, le chauf­fage et l’eau chaude repré­sentent 28 %, et la construc­tion seule­ment 11 %. En France, on parle beau­coup du car­bone dans les maté­riaux de construc­tion, beau­coup moins du chauf­fage de l’immeuble. Il y a du green washing à pro­mou­voir les construc­tions en bois ou les maté­riaux bio­sour­cés, tout en conti­nuant à mal iso­ler ther­mi­que­ment les façades.

 

Mais vous allez beau­coup plus loin, avec ce concept d’architecture météorologique…

Phi­lippe Rahm/ La fina­li­té même de l’architecture est cli­ma­tique. Vitruve (Ier siècle av. J.-C.) le dit, l’architecture trans­forme arti­fi­ciel­le­ment le cli­mat dans ce qu’il a d’inconfortable pour le rendre habi­table : le toit agit contre le soleil, le mur contre le vent et le froid, le tapis contre l’humidité du sol. C’est aus­si la théo­rie de Gott­fried Sem­per (1803–1879) sur les quatre élé­ments de l’architecture : le toit, la cloi­son, le tapis et le feu, qui défi­nissent un espace cli­ma­ti­que­ment modifié.
D’où mon inter­ro­ga­tion : pour­quoi faut-il encore que nos moyens soient géo­mé­triques, sym­bo­liques, méta­pho­riques ou formels.

C’est la même chose pour l’urbanisme : on uti­lise des pers­pec­tives, des formes sans rai­son, des ana­lo­gies géo­mé­triques, des addi­tions. Pour­quoi ne pas uti­li­ser des moyens cli­ma­tiques ? De là mon inté­rêt pour les phé­no­mènes tels que la convec­tion, la conduc­tion, l’évaporation, la pres­sion, ou encore l’émissivité (radia­tion d’infrarouges par les élé­ments de construc­tion) ou l’effusivité (rapi­di­té de l’échange ther­mique) qui relèvent de la phy­sique des maté­riaux. Je peux des­si­ner un plan de bâti­ment ou de ville repo­sant sur la convec­tion, à par­tir d’une étude des vents et des dépla­ce­ments de cha­leur. L’architecture météo­ro­lo­gique est un retour vers des prin­cipes météo­ro­lo­giques, cli­ma­tiques et phy­siques qui réor­ga­nisent les moyens du design.

 

Cette idée serait donc très ancienne ?

Phi­lippe Rahm/ À la Renais­sance, Leon Bat­tis­ta Alber­ti (1404–1472) explique que si on fait une pièce pour l’hiver, le pla­fond doit être bas pour conte­nir l’air chaud ; dans une pièce d’été, il doit au contraire être éle­vé pour éva­cuer la cha­leur. Pour Viol­let-le-Duc (1814–1879), le choix du marbre pour la construc­tion des églises de Rome obéit au besoin de rafraî­chir, bien plus qu’à une dimen­sion sym­bo­lique. La forme du dôme, par exemple celui de la vil­la Roton­da d’Andrea Pal­la­dio (1508–1580), a été conçue pour éva­cuer l’air chaud. Ce prin­cipe a été repris plus tard par Jacques-Ger­main Souf­flot (1713–1780) pour l’Hôtel-Dieu à Lyon, pour éva­cuer les miasmes. Ces formes qu’on croit sym­bo­liques ont une visée pra­tique. La sala des palais véni­tiens entre le canal et le cam­po est un cou­loir à vent, géné­ré par les dif­fé­rences de tem­pé­ra­ture entre l’eau du canal, plus froide la jour­née et plus chaude la nuit, et celles du cam­po, plus chaud le jour et plus froid la nuit. On retrouve ce prin­cipe dans les vil­las du sud des États-Unis, avec les dog­trot, ces pas­sages sous les mai­sons qui les ventilent.

Il en va de même des villes. Vitruve explique que Néron a eu tort d’élargir les allées de Rome, alors que la taille des rues avait été cal­cu­lée pour créer de l’ombre et entraî­ner le vent dans une bonne pro­por­tion. La vision actuelle date de la géné­ra­tion post­mo­derne. On cherche moins à com­prendre pour­quoi on crée une rue qu’à en connaître le sens. Une rue droite signi­fie for­cé­ment le pou­voir ou l’élégance. Ces thèses ont occu­pé l’urbanisme et l’architecture de 1950 à nos jours. L’urgence cli­ma­tique ou les phé­no­mènes de pol­lu­tion redonnent une maté­ria­li­té à l’architecture et à l’urbanisme. Tout mon tra­vail part de là.

À Paris, on ne peut pas mettre des dou­dounes aux bâti­ments haussmanniens

 

Com­ment vous conci­liez cette approche avec la néces­si­té de tra­vailler avec l’existant ?

Phi­lippe Rahm/ Le pro­blème de l’existant est d’abord poli­tique. Il faut iso­ler ces bâti­ments qu’on appelle des pas­soires thermiques.
Cette réno­va­tion ther­mique est l’un des plus gros enjeux de la tran­si­tion éner­gé­tique, mais les pou­voirs publics n’arrivent pas à trou­ver la bonne arti­cu­la­tion. Si on impose 20 cm d’isolation, cela revient très cher. Les pro­prié­taires n’ont pas les moyens.

À Paris, on ne peut pas mettre des dou­dounes aux bâti­ments hauss­man­niens, très mal iso­lés, car on en per­drait la valeur d’image patri­mo­niale et tou­ris­tique. Si on est obli­gé d’isoler par l’intérieur, on perd 20 cm sur des mètres linéaires, et donc à chaque fois des dizaines de mil­liers d’euros au prix du m² de l’immobilier à Paris. Il y a pour­tant tout un nou­veau champ esthé­tique à réin­ven­ter aus­si dans ces ques­tions d’aménagement d’intérieur.

C’est ce que j’ai pro­po­sé avec l’idée de « style anthro­po­cène », où l’isolation ther­mique devient une nou­velle sorte de tapis­se­rie ; le pare-vapeur, un genre de papier peint ou de ten­ture. En réa­li­té, les nou­velles exi­gences ther­miques et éco­lo­giques sont en train d’inventer une nou­velle esthé­tique décorative.

 

Qu’en est-il au niveau urbain ?

Phi­lippe Rahm/ Il y a deux élé­ments dont il faut tenir compte : l’albédo et le vent. L’albédo cor­res­pond au pou­voir réflé­chis­sant. Les sur­faces hori­zon­tales blanches réflé­chissent la lumière, les sur­faces sombres absorbent la cha­leur. Entre le bitume des routes et les toi­tures, les villes ont des albé­dos très faibles, sauf dans le sud de l’Europe ou au Yémen. Il fau­drait rendre blanches les sur­faces miné­rales hori­zon­tales pour évi­ter cet effet d’îlot de cha­leur urbain. À Milan, avec OMA, le bureau de Rem Kool­haas, et Labo­ra­to­rio Per­ma­nente, une agence ita­lienne, nous avons gagné le concours por­tant sur l’aménagement de deux friches fer­ro­viaires, l’une au nord-est de la ville, Fari­ni, l’autre au sud, San Cris­to­fo­ro. En 2018, Milan a enre­gis­tré ses plus fortes canicules.

Pro­jet d’aménagement de la friche fer­ro­viaire de San Cris­to­fo­ro, au sud de Milan,
Phi­lippe Rahm archi­tects avec OMA, Labo­ra­to­rio Per­ma­nente et Vogt Land­scapes archi­tects © cour­te­sy of Phi­lippe Rahm architectes

 

La ques­tion du cli­mat est donc au centre de la réflexion, dou­blée d’un pro­blème de pol­lu­tion, lié aux par­ti­cules fines. Le vent vient du sud-ouest, de la mer. À cause de l’albédo sombre, plus on va vers le nord-est, plus le vent chauffe. Les dif­fé­rences par quar­tier sont très impor­tantes : Bicoc­ca a enre­gis­tré des tem­pé­ra­tures à 36,6 °C quand le centre était à 27 °C et San Siro à 15,4 °C. Et plus on va vers le nord-est, plus la pol­lu­tion aug­mente. C’est aus­si le cas à Paris, où les quar­tiers riches ont été construits à l’ouest pour béné­fi­cier du vent frais et empor­ter les fumées d’usine vers les quar­tiers popu­laires de l’est.

Dans le pro­jet de Milan, la stra­té­gie a consis­té à créer des « lim­pi­da­riums » pour dépol­luer et refroi­dir. Nous en avons ima­gi­né deux : le lim­pi­da­rium d’aria qui net­toie et rafraî­chit l’air entrant ; le lim­pi­da­rium d’acqua qui dépol­lue l’eau par phy­to­re­mé­dia­tion. Tout d’un coup, les ques­tions réelles, cli­ma­tiques ou éco­lo­giques prennent le des­sus sur les consi­dé­ra­tions esthé­tiques ou autres. Il y a un modèle urbain à réinventer.

À Paris, on parle aujourd’hui d’îlot de fraî­cheur, et c’est très bien. En réa­li­té, on retrouve la fonc­tion pre­mière des grandes places : la place des Vic­toires, la place des Vosges, ou la place Ven­dôme ont été conçues pour être des réser­voirs d’air pur. Pour le lim­pi­da­rium d’aria, nous avons ins­tal­lé une bar­rière contre le vent chaud et la pol­lu­tion en plan­tant un parc de rési­neux qui agit comme un gigan­tesque filtre. Ce lim­pi­da­rium ven­tile la ville, avec de l’air dépol­lué et froid, en créant un nou­veau vent urbain convec­tif. On a des­si­né l’entrée des vents et tous les nou­veaux bâti­ments sont mis en place pour les lais­ser pas­ser. Au sud, le lim­pi­da­rium d’aqua est un grand sys­tème de dépol­lu­tion par phy­to­re­mé­dia­tion, avec une immense pis­cine en exté­rieur d’eau natu­relle de Milan dépol­luée, utile pour la bio­di­ver­si­té et la baignade.

 

Vous trai­tez donc tout à par­tir des don­nées cli­ma­tiques. Il n’y a donc aucune réflexion sur les formes ?

Phi­lippe Rahm/ Les formes sont liées au cli­mat. Quand les bâti­ments sont pla­cés paral­lè­le­ment au vent, la forme de la ville en dépend.
Quand l’appartement se module entre une par­tie plus froide en bas et une autre plus chaude en haut, des formes apparaissent.
Elles se trans­forment en fonc­tion de l’exposition au soleil. C’est le cli­mat qui donne les formes et la fonc­tion. Cela ne veut pas dire que le cli­mat ne puisse pas engen­drer de l’esthétique ou de la beau­té. Mais les post­mo­dernes ont désyn­chro­ni­sé la ques­tion esthé­tique de la ques­tion pra­tique. Au demeu­rant, ce mou­ve­ment reste un épi­phé­no­mène dans l’histoire humaine. Avec le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, avec la pol­lu­tion, peut-être même avec le Covid-19, qui marque un retour du réel, on s’aperçoit que les formes urbaines ont une rai­son cli­ma­tique. Le Paris d’Haussmann a été réa­li­sé pour lut­ter contre le cho­lé­ra en ven­ti­lant la ville, et non contre les révo­lu­tions et les bar­ri­cades comme on l’a dit. Quand Le Cor­bu­sier veut refaire Paris, c’est pour des rai­sons sani­taires : il veut se battre contre la tuber­cu­lose, ce qui n’a d’ailleurs aucun sens puisque la tuber­cu­lose ne se balade pas dans l’air. Mais c’est sa moti­va­tion. Aujourd’hui, on doit réen­ga­ger le réel, le cli­mat, la ques­tion de l’air, des tem­pé­ra­tures, de la lumière, de l’humidité, de l’eau comme des élé­ments fon­da­men­taux de l’urbanisme.

La forme suit le cli­mat et la fonc­tion suit la forme qui suit le climat.

 

Ne vous sen­tez-vous pas iso­lé dans cette approche ?

Phi­lippe Rahm/ Oui, j’ai mené ce com­bat de manière un peu soli­taire, en sus­ci­tant beau­coup d’incompréhension. Ce n’était pas urgent.
Aujourd’hui, la dimen­sion cli­ma­tique devient essen­tielle. Des poli­tiques comme Anne Hidal­go modi­fient cette vision pas­sée de l’architecture et de l’urbanisme.
Avec l’agence TER, nous venons d’être sélec­tion­nés pour un nou­veau parc à Saint-Péters­bourg. Et si Rem Kool­haas m’a deman­dé de par­ti­ci­per au concours de Milan, c’est parce qu’il n’avait pas les outils cli­ma­tiques. Les choses sur les­quelles je tra­vaille deviennent plus évidentes.

 

Les archi­tectes ou les urba­nistes ont-ils les com­pé­tences néces­saires pour se l’approprier ?

Phi­lippe Rahm/ Au départ, la géné­ra­tion actuelle d’enseignants n’est pas atten­tive à cette dimen­sion, elle est obli­gée de se reformer.
On a vu cer­tains archi­tectes très en colère contre la norme HQE (haute qua­li­té environnementale).
Rudy Ric­ciot­ti par exemple, parce qu’elle impose d’isoler le bâti­ment et qu’il ne peut plus faire ses struc­tures en béton appa­rent brut, il est obli­gé de les cou­vrir de mousses. Sa struc­ture men­tale est liée à une archi­tec­ture qui ne peut plus exis­ter parce qu’elle dépense trop d’énergie. Il y a un effort à faire. J’y contri­bue au niveau aca­dé­mique. J’enseigne aux États-Unis depuis dix ans, à Har­vard, à Colum­bia, à Prin­ce­ton, aujourd’hui à Cor­nell. J’ai été appe­lé à Copen­hague ou à Oslo. Les uni­ver­si­tés com­prennent aujourd’hui l’intérêt de cette démarche.

 

Quels sont les pro­jets que vous avez réalisés ?

Phi­lippe Rahm/ Le Cen­tral Park (ancien­ne­ment dénom­mé Jade Eco Park), à Tai­chung, à Taï­wan, a été réa­li­sé avec la pay­sa­giste Cathe­rine Mos­bach et Ricky Liu.

Les pan­neaux pho­to­vol­taïques et le dryium de Cen­tral Park, dans la ville de Tai­chung, à Taï­wan (2011–2020) © Cen­tral Park, Tai­chung, Taïwan/Philippe Rahm archi­tectes, Mos­bach pay­sa­gistes, Ricky Liu & Asso­ciates © cour­te­sy of Phi­lippe Rahm architectes

 

C’est un parc de 67 ha, dans lequel nous avons réa­li­sé une ving­taine de bâti­ments, dont un cli­ma­to­rium qui tra­vaille sur dif­fé­rentes couches : la couche phy­sique, la couche de l’étanchéité à l’eau, la couche de l’isolation ther­mique, la couche struc­tu­relle, toutes se dis­so­ciant pour ouvrir des espaces inter­mé­diaires habi­tables sans air condi­tion­né, sim­ple­ment avec la ven­ti­la­tion naturelle.

Ce bâti­ment est conçu comme un conser­va­toire de cli­mats. L’immeuble est entiè­re­ment blanc pour une ques­tion d’albédo. Des couches d’isolation enve­loppent les pièces prin­ci­pales où l’on habite. Le choix de maté­riaux inté­rieur est défi­ni par la notion d’émissivité : on choi­sit l’aluminium dont l’émissivité est très basse pour les par­ties non cli­ma­ti­sées, entre l’étanchéité à l’eau et l’isolation ther­mique, pour empê­cher le rayon­ne­ment chaud des parois. On peut ain­si dimi­nuer de 50 % le res­sen­ti humain de la tem­pé­ra­ture. Dans l’isolation ther­mique, il y a un tis­su dont l’émissivité est haute ; avec l’air condi­tion­né, on accen­tue le rayon­ne­ment froid des murs. Autre exemple, une pièce s’appelle le coolium : elle repro­duit le cli­mat de la mon­tagne dans une forme d’espace public froid. Au niveau urbain, nous n’avons pas vou­lu de formes gra­tuites, on a fait le plan-masse en par­tant de rai­sons cli­ma­tiques. Le pre­mier plan est don­né par rap­port au vent du nord : on crée les formes en fonc­tion de la fraî­cheur appor­tée, qu’on double en créant des hautes cano­pées qui amènent de l’ombre. Les arbres sont plan­tés de manière très dense dans les par­ties les plus fraîches. Et on crée le plan-masse par gra­da­tion, entre les par­ties froides et les par­ties chaudes.

 

Pour­quoi dans ces condi­tions l’installation de parcs en ville serait-elle du green washing ?

Phi­lippe Rahm/ L’arbre a un albé­do très bas. Il chauffe la ville même si, bien sûr, son ombre, apporte de la fraî­cheur aux gens pla­cés des­sous. Mais les études les plus abou­ties publiées dans Nature montrent qu’un toit blanc est bien plus effi­cace pour dimi­nuer la tem­pé­ra­ture qu’un toit plan­té. Au XIXe siècle, on croyait que le CO2 était toxique ; en réa­li­té, on s’empoisonnait faute d’oxygène.
Joseph Priest­ley (1733–1804) a décou­vert la pho­to­syn­thèse et a mon­tré que le végé­tal absor­bait le CO2 (le fixed air) et recréait de l’oxygène. À par­tir de 1770, il y a l’idée que les arbres détoxi­fient la ville en créant de l’oxygène. C’est pour cela que la reine Vic­to­ria a créé le pre­mier parc urbain à la demande de Lon­do­niens qui s’appuyaient sur l’exemple de la ville de Bath, où des parcs existent depuis le XVIIIe siècle et où les gens vivaient dix ans de plus qu’à Londres. En réa­li­té, il y avait moins de mala­dies à Bath.
Le parc Vic­to­ria est le pre­mier parc urbain au monde, en 1842. Napo­léon, alors en exil à Londres, va s’en ins­pi­rer pour Paris, le pay­sa­giste nord-amé­ri­cain Fre­de­rick Law Olm­sted (1822–1903) aus­si, qui va des­si­ner Cen­tral Park à New York.

De cette croyance en la toxi­ci­té du CO2 va naître la vogue des arbres en ville. Pro­gres­si­ve­ment, on com­prend que le gaz car­bo­nique n’est pas toxique. En 1961, Jane Jacob publie Déclin et sur­vie des grandes villes amé­ri­caines, dont un cha­pitre démontre l’inanité des parcs et de l’idée qu’ils dépol­luent l’air de la ville. Aujourd’hui, quand on met des arbres en ville, on réac­tua­lise une forme d’erreur. Ils ne dépol­luent pas l’air des villes, à part les rési­neux qui collent les par­ti­cules fines. Par ailleurs, s’agissant de l’absorption du CO2 par les arbres, compte tenu de nos modes de vie, il fau­drait 300 arbres par per­sonne pour absor­ber ce que cha­cun dégage. Per­sonne n’a rien contre les arbres, mais on pré­fère en par­ler plu­tôt que de l’albédo ou de l’isolation ther­mique. Le seul inté­rêt de plan­ter en toi­ture, c’est de tem­po­ri­ser les eaux de pluie pour évi­ter qu’elles partent dans les cana­li­sa­tions des villes. Cet effet est impor­tant, mais tout le reste n’a pas de réa­li­té hors d’un dis­cours dés­in­for­mé ou popu­liste. C’est bien plus impor­tant de lut­ter sur les causes que sur les consé­quences : limi­ter le déga­ge­ment de CO2 en iso­lant mieux les bâti­ments et limi­ter les émis­sions de par­ti­cules fines PM2.5 en inter­di­sant les voi­tures diesel.

 

Vous venez d’avoir un prix lors d’un concours pour l’extension au nord de la ville de Munich…

Modé­li­sa­tion de la cir­cu­la­tion des vents pour un quar­tier au nord-est de Munich © cour­te­sy of Bauch­plan and Phi­lippe Rahm architectes

 

Phi­lippe Rahm/ Notre pro­jet est un plan d’urbanisme pour une exten­sion de 600 ha vers le nord-est de la ville de Munich. Nous avons modé­li­sé le vent par rap­port à ce nou­veau quar­tier, pour rafraî­chir la ville en été alors qu’elle connaît des phé­no­mènes de canicule.
Nous sommes par­tis des foyers des petits vil­lages exis­tants autour, que nous den­si­fions en conser­vant entre eux des cou­loirs à vent non bâtis. Nous pro­po­sons des îlots urbains ouverts autour des par­ties exis­tantes, en conser­vant les grandes aires de biodiversité.
Cette modé­li­sa­tion per­met aux vents d’entrer et de tra­ver­ser les quartiers.
Nous avons amé­na­gé des espaces publics en consé­quence : des kalt­park, qui apportent de la fraî­cheur en été, et des warm­platz pour l’hiver, expo­sées au soleil et où l’on peut se retrou­ver. Je pense que la valeur de l’espace public doit aus­si retrou­ver une dimen­sion phy­sio­lo­gique fondamentale.

Jean-Michel Mestres

 

Pho­to : Phi­lippe Rahm © cour­te­sy of Phi­lippe Rahm architectes

 

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