Ancien directeur général de la Caisse des Dépôts, maître d’ouvrage de l’Arche de La Défense, figure clé du monde de la construction et du logement social, Robert Lion était un précurseur de la mobilisation face au changement climatique.
L’itinéraire de Robert Lion renvoie aux grands défis urbains que notre pays eût à connaître au cours de la seconde partie du xxe siècle : l’affirmation du rôle fondamental du logement social et l’accès à un cadre de vie de qualité pour tous au cours des années 1960-1970 ; la réhabilitation du parc social et la définition d’une nouvelle politique urbaine au cours des années 1980-1990. Pour aborder ces questions, sa posture fut tout autant celle d’un haut fonctionnaire qui vouait une véritable « passion » au service de l’État – pour reprendre une formule empruntée à son livre publié en 1992 –, que celle d’un militant qui, du fait de son engagement chrétien originel, aspirait à une société plus fraternelle et plus juste.
Après des études à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po), puis à l’ENA, Robert Lion choisit l’inspection des Finances pour commencer sa carrière de haut fonctionnaire. Dès son entrée dans la vie active, les questions urbaines retiennent toute son attention. En 1966, il devient chargé de mission au cabinet d’Edgar Pisani au nouveau ministère de l’Équipement, puis, après la démission de ce dernier du gouvernement, il rejoint l’équipe de Paul Delouvrier au District de la Région parisienne où il s’occupe du fichier des mal-logés. Une première expérience qui le marquera très fortement étant donné la crise qui continue à sévir, en particulier dans la région parisienne. En 1968, il est de nouveau appelé au ministère de l’Équipement, cette fois par Albin Chalandon qui s’est vu confier ce portefeuille en juillet 1968. Attaché à la direction de la Construction, il en devient en juin 1969, à 35 ans, le directeur. À la tête de l’administration en charge de la politique du logement durant cinq ans, il entame toute une série de réformes qui engageront l’avenir urbain de la France durant plusieurs décennies. Tout d’abord, en 1970, la mise en oeuvre de la politique de résorption des bidonvilles après l’échec de la loi sur la rénovation urbaine en 1964 ; il contribue également à la création de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah). Ensuite, en 1972, l’invention d’une politique valorisant la qualité architecturale ; il crée le Plan-construction auquel il fixe deux objectifs principaux : programmer et ordonner la recherche appliquée dans l’habitat ; mobiliser les crédits suffisants afin de pouvoir lancer un certain nombre de programmes expérimentaux.
LIVRE BLANC DES HLM
Enfin, la même année, alors que la fin de la politique des grands ensembles se profile, le démarrage de la politique de réhabilitation de ces derniers avec le programme « Habitat et Vie sociale » ; les premiers programmes expérimentaux étant lancés en 1975. Autant de réformes qui remettent en cause la logique productiviste dans le domaine du logement telle qu’elle avait été initiée à partir du début des années 1950 en France.
À la veille des élections présidentielles de 1974, Robert Lion décide d’emprunter une voie peu conforme à son statut de haut fonctionnaire. Il devient, en effet, délégué général de l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM, à la demande d’Albert Denvers, son président. Comme dans ses précédentes fonctions, avec ses équipes, il entend bousculer les certitudes et engage alors l’Union dans une vaste réflexion qui aboutira en 1975 à la publication du Livre blanc des HLM. Ce document devient alors la feuille de route des cadres du Mouvement HLM. Il rappelle que, contrairement à ce que certains pensent, la crise du logement n’est pas terminée et revendique « un habitat de qualité pour tous ». Il n’hésite pas non plus à poser dès cette époque la question de l’opportunité de démolir une partie du parc de logement social existant à l’horizon 2000. Robert Lion joue aussi un rôle important vis-à-vis de l’emblématique réforme gouvernementale des aides au logement qui aboutit à la création de l’Aide personnalisée au logement (APL). Soucieux des enjeux environnementaux et en réaction au choc pétrolier, il est un des fondateurs du Comité d’action solaire et administrateur de l’Agence pour les économies d’énergie, ancêtre de l’actuelle Ademe.
SOLIDARITÉS URBAINES
Engagé au Parti socialiste (PS) durant les années 1970, il a supervisé l’écriture de la partie urbaine du programme du candidat socialiste en 1981. Il devient, après l’élection de François Mitterrand, le directeur de cabinet du nouveau Premier ministre Pierre Mauroy. Il continue à s’intéresser spécialement aux questions urbaines et porte une attention toute particulière à la démarche qui donnera naissance à la Commission nationale du développement social des quartiers (CNDSQ), dont la présidence est confiée au député-maire de Grenoble Hubert Dubedout. Son passage à Matignon ne lui permet toutefois pas de suivre la mise en oeuvre des premiers programmes de réhabilitation puisqu’en 1982 il est désigné par le président de la République pour devenir directeur général de la Caisse des Dépôts, l’un des postes clés de la République. Son appétence pour les questions urbaines ne se dément toujours pas malgré les lourdes charges qui pèsent alors sur lui, notamment après le tournant de la rigueur décidé en 1983.
Dès sa prise de fonction en 1982, il met l’accent sur la nécessité de remédier à la crise des quartiers déshérités. « Des millions de citadins, français aussi bien qu’étrangers, ne se sentent pas citoyens […] physiquement et moralement, ils sont hors les murs », écrit-il dans une tribune parue dans Le Monde en juin 1982. Alors même que la Caisse des Dépôts dirigée par François Bloch-Lainé avait joué un rôle essentiel à partir de 1954 dans la politique des grands ensembles, Robert Lion entend refaire de la Caisse des Dépôts un outil stratégique au service de la réhabilitation du parc social existant et d’une politique de l’habitat innovante. Il l’affirme à plusieurs reprises dans la presse : la Caisse des Dépôts a vocation à passer de son rôle classique de financeur du logement social à celui de reconstructeur des solidarités urbaines. Pour cela, il sera procédé à la transformation en profondeur de la Société centrale immobilière de la Caisse (SCIC), ainsi qu’à la mise en chantier du premier programme « Développement solidarité », qui fera de la Caisse l’un des principaux opérateurs de la politique de la ville. Au cours d’une conférence tenue en octobre 1991, Robert Lion évoque à ce sujet l’existence « de nouvelles frontières » pour le développement de la Caisse des Dépôts, notamment l’intervention en faveur des quartiers défavorisés. Parallèlement, Robert Lion se passionne toujours autant pour l’architecture et trouve dans la politique des grands travaux un accomplissement. À la demande du président Mitterrand, il préside en 1983 le jury du concours de la Tête Défense qui réunit pour la circonstance plusieurs architectes de renom comme Richard Rogers, Richard Meier et Kisho Kurokawa. Il présidera la société Tête Défense, maître d’ouvrage de la construction du monument qu’il défendra contre vents et marées.
Robert Lion, tout au long de sa carrière, a d’ailleurs été proche de nombreux architectes de renom, de Jean Prouvé et Émile Aillaud jusqu’à Jean Nouvel et Norman Foster. Une fois à la retraite, il continuera à travailler sur les questions d’architecture et d’urbanisme, en assumant durant dix ans la charge de conseiller « développement durable » aux côtés du président de l’Ordre des architectes, et en participant aux activités de l’Association des architectes français à l’export (Afex). De même, il présidera de 2000 à 2006 l’Association française d’action artistique (Afaa), dont la mission consiste à assurer la promotion internationale de la création artistique française.
Par les engagements qui furent les siens tout au long de sa carrière, il aura marqué de son empreinte une partie des grandes réformes liées au logement social, à l’urbanisme et à la politique de la ville. À ce titre, il est à citer parmi les grands commis de l’État de l’après-guerre, comme Paul Delouvrier, François Bloch-Lainé ou bien encore Simon Nora. Avec toutefois la particularité d’avoir choisi, à un moment clé de sa vie, de continuer son action réformatrice au sein d’un organisme public extérieur à l’appareil d’État. Jusqu’à la fin de sa vie, Robert Lion sera resté militant de la cause urbaine. Encore au printemps 2018, dans le cadre des débats sur la loi ELAN (Évolution du logement et aménagement numérique) qu’il suivait avec une grande attention, il appelait, dans une tribune publiée dans Libération, le gouvernement à « soutenir la qualité, l’innovation, l’audace, à faire souffler sur nos villes et notre habitat une ambition historique ». Autant de thématiques qui lui étaient chères et qui furent au coeur de ses engagements.