Béton. Enquête en sables mouvants
Alia Bengana, Claude Baechtold, Antoine Maréchal
(Presses de la Cité, coll. « La Cité graphique », 2024, 160 pages, 24 euros)
« La paille, la terre…, c’est pour les pauvres. Le béton, ça, c’est moderne ! » Initiée lors d’une enquête au long cours et publiée dans la revue en ligne suisse Heidi.net, l’investigation sur le béton, aujourd’hui mise en image, est tout simplement terrifiante. Développé depuis plusieurs décennies et ayant permis la reconstruction à grande échelle des pays dévastés par la guerre, le béton armé interroge sur son usage exclusif dans la construction et ses qualités environnementales déplorables. Utilisé, le béton serait « moderne » et les matériaux naturels comme la terre, la paille, le bois ou la pierre seraient impossibles pour répondre aux enjeux de la ville du XXIe siècle.
Alia Bengana dialogue avec Le Corbusier, qui lui rappelle que, dès le Ier siècle avant J.-C., les Romains construisaient déjà en béton, avec un mortier de chaux et de pierre volcanique du Vésuve. Sa résistance et sa flexibilité modulaire permettent au béton de s’affranchir des formes rectilignes et d’offrir des bâtiments audacieux : « Le béton, c’est la liberté ! » Alia Bengana, architecte, Claude Baechtold, journaliste, et le dessin implacable d’Antoine Maréchal battent le fer aux idées reçues et enquêtent sur les méandres de la production du béton. Du sable extrait dans la vallée du Rhône aux extractions illégales sur les plages asiatiques aux conséquences irrémédiables sur les écosystèmes, les alternatives sont pourtant là ! Ils rappellent, dans un dessin dynamique et les répliques implacables des personnages, que la production mondiale de ciment émet chaque année deux fois plus de CO2 que le trafic aérien mondial, c’est-à-dire que la production d’une tonne de ciment équivaut à un vol Paris-New York, en termes de pollution.
Malgré la catastrophe du pont de Morandi à Gênes, en 2018, les actions d’activistes à Lausanne, sur la colline de Mormont, ou le combat de l’association des riverains du port de Javel, à Paris, se déroulent dans l’indifférence générale. Le changement ne peut donc venir que des architectes. La BD fourmille d’exemples pour faire autrement, où les architectes militants compensent l’absence de formation dans les écoles d’architecture pour développer une architecture écologique et responsable. Un des pionniers de l’architecture bioclimatique, Gilles Perraudin, explique la nécessité de se libérer de la tentation de dessiner une forme originale ou de réaliser un geste architectural et de se soumettre à la matière. « Tout à coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. » Architectes de tous les pays unissez-vous ! À lire de toute urgence !
Aldo Bearzatto