L’Enfant de La Courneuve
Thibault Tellier
(Michalon, coll. « Polars réels », 2024, 220 pages, 20 euros)
Dix-neuf ans après l’inauguration de la Cité des 4 000 à La Courneuve, la promesse d’un habitat décent et heureux s’est envolée. L’ennui peuple les journées d’une jeunesse qui a pour seul lieu de divertissement un espace public goudronné. Dans cet ensemble de logements sociaux surdimensionné, un bourdonnement continu constitué de cris, rires et moteurs de deux roues, laisse peu de place à la tranquillité. Le 13 juillet 1983, Toufik Ouannès, un jeune garçon de 9 ans, perd la vie en bas des 4 000, où il réside avec sa famille, à la suite d’un mystérieux coup de fusil. L’agencement des bâtiments, la population nombreuse et l’absence de détonation ralentiront la découverte du coupable.
Que s’est-il passé ce soir d’été ? Thibault Tellier, historien spécialiste des politiques de la ville, a exhumé le dossier judiciaire, les archives de la presse et recueilli plusieurs témoignages quarante ans plus tard pour éclairer les raisons de ce drame. « Dès lors, le meurtre de Toufik Ouannès quitte la sphère du fait divers pour devenir un maillon explicatif de l’histoire urbaine de la France après les Trente Glorieuses, en particulier celle du peuple banlieusard dont il reste à écrire l’histoire. » Une question demeure. Le meurtrier, un machiniste cinquantenaire de la RATP, originaire du Lot, vivant avec femme et enfant dans la cité, féru d’armes à feu, a‑t-il intentionnellement visé ce groupe de jeunes qui le dérangeait ? L’historien relate avec précision les évènements et interrogatoires qui ont suivi l’arrestation de René Aigueperse, qui soutiendra mordicus un tir d’intimidation, arguant le contexte de fatigue, lié à la rémission d’un infarctus et le climat assourdissant qui ont eu raison de sa patience. Du côté de la partie civile, le crime raciste sera avancé, d’autant qu’une carabine à air comprimé n’aurait pu couvrir le tumulte ambiant. Une manifestation, qui a lieu cinq mois après le décès, énumérera la liste déjà longue de meurtres à caractère xénophobe pour l’année 1983.
L’Enfant de La Courneuve est le récit de ces grands ensembles : la cohabitation entre des habitants issus de l’immigration et de la ruralité, tous à la recherche d’une vie meilleure. René Aigueperse sera condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Maider Darricau