Prendre la clef des champs. Agriculture et architecture
Sébastien Marot
(Coll. « Wildproject/Architectures », éditions Wildproject, 2024, 304 pages, 28 euros)
Rapprocher ce savant ouvrage de la mythique anthologie de Françoise Choay, L’Urbanisme, utopies et réalités, serait paradoxal. Tout d’abord, parce que l’agriculture est au centre du rapport à l’architecture et à l’urbanisme, ensuite parce que les réalités sont plus présentes que les utopies, comme en témoigne la Broadacre City de Frank Lloyd Wright ou les réflexions écologiques de Karl Marx. Mais, surtout, parce que le philosophe Sébastien Marot prône l’oubli du terme urbanisme associé à l’extension urbaine, proposant « d’accorder à cette méta-discipline la décharge, le repos et l’écoute que méritent les vieillards surmenés, qui ont sans doute encore bien des choses à dire et à transmettre, mais dont les plis et les instruments ne correspondent plus vraiment aux enjeux majeurs de l’anthropocène ni à la résonance des chantiers et révolutions théoriques à entreprendre ».
Ce rapprochement naît de l’exploration d’analyses et de concepts et de projection dans le futur, anticipatrices d’un avenir quasi annoncé, inspirées d’auteurs souvent méconnus, porteurs de visions croisant agriculture, architecture, écologie et urbanisme de manière prémonitoire. Marot, inspiré des scénarios de David Holmgren, face à la dégradation des conditions d’existence, en propose quatre dont les deux premiers sont dans l’air du temps, portés, selon lui, par le capitalisme, mais se donnant comme des récits environnementaux. Le premier, c’est « incorporation », scénario éco-moderniste, où une nouvelle révolution industrielle permettrait d’affronter les conséquences délétères de la précédente, avec des métropoles denses aux « buildings that grow food ». Le deuxième, « négociation », est celui d’une ville horizontale qui continue de s’étendre, intégrant horticulture, foresterie et agriculture.
Le troisième, « infiltration », serait celui de l’agriculture urbaine, scénario ouvert aux initiatives qui s’infiltrent dans les villes existantes, construisent des communes fortunes sur des terrains vagues, plantant les toitures, etc. Enfin, « sécession » parle de toutes les démarches qui regroupent collectifs et voisins, qui partent hors des villes s’installer à la campagne ou dans les territoires suburbains, s’organisant localement en économie de subsistance. Une forme d’exode urbain qui rejoint le concept de suburbanisme inventé par l’auteur – qui le pense inéluctable.
Ariella Masboungi