La politique de la Ville a juste trente ans, si on retient comme date de naissance la création de la commission Dubedout à l’automne 1981. Quant à l’administration qui la porte, elle a changé d’appellation en 2009 après plus de vingt ans d’existence : la Délégation interministérielle à la ville (DIV) devenant Secrétariat général du Comité interministériel des villes (CIV). Vingt ou trente ans (ou un peu plus si l’on fait commencer la démarche avec les opérations Habitat et Vie Sociale lancées en 1977), c’est court à l’échelle de l’histoire des politiques publiques. Et pourtant, rarement politique aura suscité sur une durée aussi limitée autant d’espoirs, d’attentes diverses, de controverses, de critiques et de malentendus de toutes sortes. La politique de la Ville concentre en effet toutes les passions françaises, les modernes et celles qui le sont moins : lutte contre les nouvelles formes d’exclusion sociale et de ségrégation spatiale, mise en avant des principes de traitement égalitaire de tous les territoires et de solidarité territoriale, défense d’un rôle de l’État comme garant des solidarités, confiance dans la capacité des acteurs locaux à travailler ensemble et à inventer les solutions adaptées.
Bref, la politique de la Ville mérite qu’on lui adresse une série de questions de fond. C’est pourquoi ce dossier revient d’abord sur son histoire, dont nombre d’épisodes sont souvent oubliés. La table ronde qui a réuni autour d’Hervé Masurel, secrétaire général du CIV, des protagonistes de cette histoire, Sylvie Harburger, Daniel Béhar, Bénédicte Madelin et un historien, Thibault Tellier, témoigne à sa manière des convictions qui ont animé ses fondateurs, des interrogations dont ils sont aujourd’hui porteurs et des évolutions possibles ou souhaitables des modes d’intervention dans les quartiers sensibles.
Ces modes d’intervention ont nettement changé depuis quelques années avec la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (2004) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (2006). Leurs directeurs font donc le point sur leurs activités et leurs perspectives, notamment de coopération.
Après cet état des lieux, quatre contributions reviennent plus spécifiquement sur la gouvernance de la politique de la Ville. S’appuyant sur les travaux récents de l’ODAS, Cyprien Avenel affirme résolument de nouvelles perspectives autour de la gouvernance locale de la cohésion sociale. François-Xavier Roussel pointe les convergences des conclusions des nombreux rapports consacrés à la politique de la Ville, y compris le dernier en date, des députés François Goulard et François Pupponi. Michel Didier présente le dispositif des délégués du préfet, qui marque un retour au moins symbolique de l’État dans les quartiers. Noémie Houard s’interroge sur les contradictions des politiques publiques – entre injonction à la mixité sociale et affirmation du droit au logement – dans leurs effets sur le peuplement des quartiers.
L’enjeu du diagnostic et de l’évaluation fait l’objet de deux articles. Anthony Briant rappelle les acquis du travail de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles et présente les perspectives ouvertes par la constitution d’un panel Politique de la Ville, notamment pour suivre les dynamiques résidentielles dans les quartiers. Dans un registre différent, Stéphane Semichon fait le point sur les techniques de l’information géographique appliquées aux ZUS, en particulier pour cerner la notion d’enclavement.
Ensuite, trois contributions d’experts français et étrangers apportent des éléments de comparaisons internationales. Sophie Body-Gendrot, Tomáš Kostelecký et Clarence Stone présentent les résultats de l'étude approfondie des politiques de rénovation urbaine menées dans huit villes européennes. Renaud Epstein et Irène Mboumoua s’attachent à cerner les similitudes et les différences entre les politiques de la Ville en France et en Grande-Bretagne : un article écrit avant les récentes émeutes britanniques mais qui prend une nouvelle résonnance avec l’actualité. Jean-Loup Drubigny, directeur du Secrétariat du programme URBACT, rappelle les principales étapes de construction d’un consensus européen sur le développement urbain et les quartiers défavorisés avant d’en pointer les limites dans les politiques nationales et locales.
Enfin, Thomas Kirszbaum propose un contre-point critique en se demandant “pourquoi la France résiste à l’empowerment ?”, qui s’appuie sur une mise en parallèle de la politique de la Ville française “bureaucratique et descendante” et du développement communautaire nord-américain. Une contribution qui, comme l’ensemble de ce dossier, vise à alimenter un indispensable débat sur une politique qu’il faudrait inventer si elle n’existait pas, tant elle est au cœur des interrogations sur le devenir de la société française.
Adil Jazouli et Antoine Loubière