Rencontre avec le grand artiste israélien à qui l’on doit de nombreuses oeuvres installées dans des lieux publics en Israël, aux États-Unis, au Japon, en Corée et en Europe. En France, on connaît notamment son Axe majeur à Cergy-Pontoise. S’il se revendique comme sculpteur, il part toujours du lieu. À 88 ans, chaleureux, simple et direct, Dani Karavan continue de travailler.
Où êtes-vous né ?
Dani Karavan/ Je suis né à Tel-Aviv, en 1930. Mes parents sont arrivés ici quand ils avaient 18 ans, en 1920, comme pionniers. Ils venaient de la ville de Lvov (en Pologne, aujourd’hui en Ukraine), appelée aussi Lemberg, au xixe siècle, au temps de l’annexion par l’Autriche-Hongrie. Ils se sont installés sur la plage de Tel-Aviv, c’était possible à l’époque de planter une tente dans laquelle ils ont vécu quelque temps. Ensuite, ils sont partis s’installer au bord du lac de Tibériade. Quand j’avais 8 ans, je me suis rendu sur place : il y avait encore de petites cabanes comme la leur, c’était vraiment très petit à l’intérieur. Puis ils sont retournés à Tel-Aviv. Mes parents étaient des sionistes, mais pas des militants. Ma mère avait des idées gauchistes, mon père n’était pas politisé, il n’a jamais été lié à un parti. Il a d’abord travaillé à la construction des rues, puis il a entendu parler d’un poste à la mairie dans la section des jardins. Comme il aimait beaucoup la végétation, il a bifurqué vers ce travail : il est devenu jardinier. Puis la place de chef paysagiste s’est libérée, et on lui a proposé ce poste. Il était autodidacte, il n’avait jamais étudié le paysagisme dans une école, mais il était l’un de ceux qui connaissaient le mieux la végétation de Palestine. Il a pourtant souffert de ne pas avoir les diplômes nécessaires. C’est lui qui a « colorié » Tel-Aviv en vert, qui a planté les parcs, les rues, les boulevards. Il fait très chaud ici, tout le monde cherche de l’ombre. Mon père a créé beaucoup d’ombre à Tel-Aviv. Ensuite, il a conçu quelques parcs qui sont devenus des exemples classiques de jardins israéliens.
Nous habitions une petite maison que mon père avait construite lui-même. Comme mes parents avaient un prêt à rembourser, ils louaient des chambres. Nous vivions avec trois autres familles, chacune dans une pièce, et nous partagions la salle de bains et la cuisine. Ma soeur partageait la chambre de mes parents et je dormais sur un lit d’appoint dans la cuisine. À l’étroit, mais c’était comme ça. Et nous avions toujours des amis à la maison.
De chez moi, je pouvais voir le lever du soleil sur les montagnes au-dessus de Jérusalem. C’était aux confins de la construction de Tel-Aviv, aujourd’hui on est au centre-ville. Il n’y avait que quelques maisons autour, et puis le sable. Je marchais pieds nus la plupart du temps, ce sont ces sensations différentes qui m’ont marqué, le sable très chaud, le sable mouillé. Je crois avoir créé mes premiers bas-reliefs avec mes pieds (rires).
Pourquoi avoir choisi des études artistiques ?
D. K./ J ’étais un très mauvais écolier. Des années plus tard, on a découvert la dyslexie, mais à l’époque on ne connaissait pas ce trouble, on pensait que j’étais paresseux. J’ai beaucoup souffert à l’école, ce n’était pas un plaisir, même si j’y avais beaucoup d’amis. J’étais très sensible à la poésie, mais comme je faisais beaucoup de fautes d’orthographe, mes essais poétiques faisaient rire tout le monde. J’ai compris que je devais arrêter. Après, j’ai voulu faire de la musique et j’ai eu une petite flûte à bec. J’ai écrit quelques morceaux sans savoir les notes, en les remplaçant par des numéros, puis j’ai voulu que mon père m’achète une clarinette. Je me souviens encore du magasin, avec de très beaux instruments. Mon père ne gagnait pas beaucoup d’argent mais il était prêt à faire un effort. Le vendeur l’a mis en garde, c’est bien la clarinette mais il faut prendre des leçons deux fois par semaine – on est reparti sans clarinette : mon père était sûr que je n’aurais pas une telle discipline, il savait que je n’aimais pas les devoirs.
Un de mes amis faisait partie d’un atelier de peinture. Un jour, j’y suis allé avec lui et ça m’a beaucoup plu. Je n’avais même pas 14 ans. Mon père était d’accord, même s’il trouvait que je changeais d’avis trop souvent. J’ai commencé à peindre avec un professeur qui s’appelait Aaron Avni. Ce peintre figuratif qui appartenait à l’École de Paris nous demandait de peindre des natures mortes de façon très précise ; pour tout dire, c’était un peu ennuyeux. Ensuite, la peinture a connu une révolution en Israël, avec une avant-garde composée d’artistes comme Avigdor Stematsky (1908-1989) et Yehezkel Streichman (1906-1993). J’étais très heureux, je me sentais bien, j’ai passé trois années dans l’atelier de Streichman & Stematsky jusqu’à la guerre d’indépendance. Il y avait aussi Marcel Janco (1895-1984), très connu pour avoir fait partie du groupe Dada à Zürich.
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Passages, sculpture hommage à Walter Benjamin (1990-1994), Portbou, Espagne © Jaume Blassi
Quelques dates
1930/ Naissance à Tel-Aviv, Israël
1945-1948/ Apprentissage de la peinture dans le studio de Streichman-Stematsky, Tel-Aviv
1948-1955/ Membre fondateur du kibboutz Harel, Israël
1956-1957/ Étudie la fresque à l’Académie des beaux-arts, Florence, Italie
1957/ Étudie le dessin à l’Académie de la Grande Chaumière, Paris
1963-1968/ Monument du Néguev, Beer-Sheva, Israël
1965-1966/ Prière pour la Paix de Jérusalem, bas-relief pour l’Assemblée de la Knesset
Depuis 1980/ Axe majeur, Cergy-Pontoise, la passerelle date de 2011
1989-1993/ Allée des Droits-de-l’Homme, Musée national de Nuremberg
1989-1999/ Carré urbain, parc des Sources de la Bièvre, Saint-Quentin-en Yvelines
1989-2000/ Esplanade Charles-de-Gaulle, La Défense, Nanterre
1990-1994/ Passages, hommage à Walter Benjamin, Portbou, Espagne
1993-1994/ Hommage aux prisonniers de Gurs, Gurs, France
1993-1998/ Square de la tolérance, hommage à Yitzhak Rabin, siège de l’Unesco, Paris
1998-2006/ Murou Art Forest, village de Murou, préfecture de Nara, Japon
2000-2012/ Mémorial des Sinti et des Roms, Berlin, Allemagne
2005-2013/ Place de la Culture, Tel-Aviv, Israël
Bibliographie
Dani Karavan/ Israel/Biennale di Venezia ’76
Amnon Barzel, Ministero dell’Istruzione e Cultura, Jérusalem, Israël, 1976.
Dani Karavan
De Pierre Restany, Prestel Verlag, Munich, Allemagne, 1992.
Dani Karavan
Rétrospective
De Mordechai Omer et Noa Karavan-Cohen, Musée d’art de Tel-Aviv, Tel-Aviv, Israël, 2007.
Dani Karavan
Una vitá “Site Specific”/A Site Specific Life
De Giuliano Gori, Gli Ori, Pistoia, Italie, 2008.
La Saga de l’Axe Majeur
Dani Karavan à Cergy-Pontoise
Claude Mollard (dir), Beaux-Arts éditions, Cergy- Pontoise, France, 2011.
L’architecture inquiétée par l’oeuvre d’art
Mémorial Walter Benjamin de Dani Karavan à Portbou
Bruno Queysanne (dir.), éditions de l’Espérou, France, 2015.
Dani Karavan
Musée d’Art moderne, Céret, France, 2015.
Dani Karavan
The Essence of Place
International Cultural Centre, Cracovie, Pologne, 2015.
The Way of Human Rights
A site-specific sculpture by Dani Karavan
Germanisches National Museum, Nuremberg, Allemagne, 2018.
Dani Karavan
The Garden that doesn’t exist
Mondadori Electa Milano MEIS, Ferrara, Italie, 2018.