Konstantin Bojanov
[Atelier Distributions, actuellement en salle]
The Shameless suit le parcours de Renuka, une travailleuse du sexe contrainte de fuir Delhi, après avoir poignardé un policier. En cavale, elle se retrouve à Chhatarpur, ville du nord de l’Inde, au cœur d’une communauté de devadasis.
Cette pratique religieuse pluriséculaire consiste à « consacrer » des filles prépubères à une divinité hindoue — une forme de dévotion qui les condamne à une vie de prostitution. Dans cet univers aussi sacralisé qu’oppressant, Renuka croise la route de Devika, une jeune fille que sa mère destine à un mariage forcé.
Entre ces deux femmes naît une solidarité intime, nourrie par une volonté de se libérer des carcans patriarcaux. Ensemble, elles vont défier un ordre préétabli profondément inégalitaire, où toute tentative d’émancipation féminine est immédiatement perçue comme une menace.
À travers leur trajectoire, le film met en lumière l’inversion troublante de la morale dans une société patriarcale : ici, celles qui le subissent sont considérées comme des criminelles dès lors qu’elles tentent de se soustraire à l’oppression. Les bourreaux restent invisibles ; ce sont les victimes qui doivent se justifier.
Dès les premières images, The Shameless nous immerge dans l’atmosphère de Chhatarpur, grâce à des images en clair-obscur qui donnent au film des allures de conte. Cette ville dédaléenne, quelque peu en ruines, tranche avec la frénésie de ses voisines, Delhi et Calcutta, plus fourmillantes. On aurait aimé en découvrir davantage, tant elle semble regorger d’histoires à raconter.
À la croisée de la fable contemporaine, du drame social et du thriller, The Shameless mêle le portrait d’un amour lesbien naissant à la dénonciation des violences systémiques subies par les femmes, prises en étau entre traditions, religion et domination masculine.
Son réalisateur, Konstantin Bojanov, résume ainsi son approche : « Une histoire doit rester crédible et plausible, quel que soit son univers et même si elle implique des gobelins qui volent dans le ciel. » Une manière d’affirmer que, dans une société régie par l’injustice, la fiction peut être un puissant levier de vérité.
Lucas Boudier