Keff
Tandem Films, en salle le 30 juillet
Présenté l’année dernière au Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique, Gangs of Taïwan est le premier long métrage de Keff, un artiste d’origine américano-taïwanaise ayant grandi à Hong Kong. Ses deux premiers courts métrages, remarqués aux États-Unis et à Cannes, contenaient déjà les germes esthétiques de ce qui allait suivre : Secret Lives of Asians at Night avec ses ambiances aux néons, et Taipei Suicide Story tourné dans la capitale taïwanaise. Avec Gangs of Taïwan, le réalisateur continue de creuser l’excellent sillon du film noir urbain sino-hongkongais dont les récents représentants sont Black Coal (Diao Yi’nan, 2014), Une pluie sans fin (Dong Yue, 2017), Le Lac aux oies sauvages (Diao Yi’nan, 2019) ou encore Limbo (Soi Cheang, 2021).
Mutique et solitaire, le jeune Zhong-Han travaille dans un boui-boui traditionnel de Taipei dont les propriétaires, Ah-Rong et Yu-Jie, sont comme ses parents adoptifs. L’affaire perdure depuis soixante-dix ans, mais les temps changent et les promoteurs n’en ont que faire des nouilles sautées préparées avec amour : leur appétit de béton est plus fort. C’est le cas de Bruce, homme d’affaires expéditif qui rachète la gargote et propose une somme rondelette au couple de gérants pour libérer les lieux et le laisser ainsi poursuivre sa partie de Monopoly dans ce secteur de Wanhua, plus vieux quartier de la capitale. Mais Ah-Rong refuse catégoriquement et un bras de fer s’engage entre les deux hommes. Parallèlement, Zhong-Han mène une double vie en tant que membre d’un gang dont les activités consistent essentiellement à pratiquer le recouvrement de dettes à coups de batte de baseball. Quand il n’est ni au resto, ni avec des créanciers, le garçon muet danse en boîte de nuit sur de la musique électronique de première qualité. Ou traîne dans une épicerie de nuit dont la caissière semble s’intéresser à lui. En toile de fond, les écrans retransmettent les images des sanglantes manifestations de Hong Kong contre l’amendement de la loi d’extradition (nous sommes en 2019). Un climat anxiogène qui reflète les velléités expansionnistes de la Chine dont Taïwan est l’une des cibles.
Cynique, violent et nihiliste, Gangs of Taïwan nous entraîne dans les arcanes de Taipei, où règne la corruption, mais la virée nocturne débouche toujours sur des impasses.
Rodolphe Casso