Guillermo Galoe
Pan Distribution, en salle le 3 septembre
À seulement 30 minutes de Madrid, Cañada Real, plus grand bidonville d’Europe, est le décor du premier long métrage de Guillermo Galoe, Ciudad sin sueño. Ce territoire, longtemps ignoré par les autorités, est aujourd’hui au cœur de nouvelles convoitises foncières. Les habitants se retrouvent face à un choix brutal : rester ou partir. Cette injonction structure le récit, vu à travers le regard de Tonino, jeune habitant du quartier, tiraillé entre l’attachement à ce lieu qui l’a vu grandir et le rêve d’une autre vie, désiré par une grande partie de sa famille.
Fruit d’un long travail anthropologique, le réalisateur a vécu plusieurs années en immersion, nourrissant le scénario de récits réels, évitant ainsi le piège du film misérabiliste. Ce réalisme est parfois suspendu au profit d’envolées fictionnelles, qui renforcent la dimension poétique de ce conte contemporain. Les bulldozers menacent, les expulsions se préparent et l’esthétisme sur l’écran frappe : les images sont parfois surexposées et saturées à l’extrême, le vert des visages, le violet de la végétation, ou encore les blancs éclatants.
Certaines scènes donnent à voir la violence latente et l’hostilité de ce no man’s land, notamment les scènes nocturnes dans lesquelles cet entre-deux urbain montre ses névroses : trafic de drogues, tensions intergénérationnelles, descentes de police et interventions à la pelleteuse, qui soulignent la volonté des autorités de démolir les bâtisses.
Ciudad sin sueño, littéralement « la ville sans sommeil », ne renvoie pas seulement à l’agitation nocturne. Il nous fait ressentir l’état d’épuisement permanent des habitants, mais aussi d’un territoire qui ne connaît ni paix ni répit, où l’on survit sans repos.
La force de ce film réside dans cette tension constante entre la dureté de l’environnement et la douceur des personnages. Tonino, dans sa candeur et sa lucidité, devient alors le vecteur d’une réflexion plus large sur l’exclusion, la marginalité, mais aussi sur l’identité. Ciudad sin sueño n’est pas une simple dénonciation, il est avant tout un geste de cinéma, avec une forte proposition sensorielle et politique, qui interroge avec force ce qu’il reste des lieux quand on les détruit, et des gens quand on tente de les effacer.
Lucas Boudier