La Destruction de Berlin
Stéphane Füzesséry
[La Découverte, 2025, 376 pages, 24 euros]
La fin du XIXe siècle marque une période décisive dans l’histoire urbaine. L’Europe et l’Amérique du Nord sont le terreau d’un gigantisme citadin sans précédent, à l’instar de la capitale allemande qui connaît une croissance démographique qualifiée d’« explosive » entre 1860 et 1910, + 114,2 %. Selon l’historien Stéphane Füzesséry, ce déséquilibre – logements précaires, surpopulation, transports insuffisants – a contribué à nourrir de profonds doutes sur la viabilité à long terme de la très grande ville, instrumentalisée par le régime nazi. L’ouvrage propose une double lecture : d’un côté, une histoire urbaine de Berlin entre 1860 et 1945 ; de l’autre, une analyse des théories développées au XXe siècle sur les conséquences sociales et psychologiques de la vie citadine.
Oswald Spengler popularise l’idée de « ville parasite », reprise en 1930 par Richard Korherr : « Berlin est le parasite du corps économique allemand. » Déjà, à la Belle Époque, la ville est accusée de vivre aux dépens de la campagne, d’être incapable de se développer par elle-même. On parle de « neurasthénie », concept introduit par le neurologue états-unien George Beard, en 1881, puis largement repris par les médecins allemands. Cette « maladie-rançon de la modernité » s’exprimerait par de la nervosité, des microtraumatismes nerveux dus aux sons et lumières, une véritable épidémie selon certains. En 1905, les opératrices de téléphone bénéficient même d’une assurance invalidité du Reich. La pression urbaine entraîne aussi des conséquences sur la nature environnante : Berlin possédait 291 km² de forêts en 1860, contre seulement 160 km² en 1930. Or, les Allemands restent profondément attachés à la forêt, qu’ils considèrent comme un marqueur identitaire.
Face à ces enjeux, un mouvement de réformes émerge visant à repenser l’aménagement urbain. C’est l’époque de la décentralisation et des premières cités-jardins, dont la modélisation originelle revient non pas à Ebenezer Howard, mais à Theodor Fritsch, écarté du débat pour ses idées antisémites et racistes. Suit une seconde réforme importante avec le concept de « ville-satellite », indépendante et déconnectée de la métropole centrale. Malgré ces tentatives de réparation urbaine, la grande ville inquiète toujours : est-elle viable ? Ces interrogations nourrissent le discours du régime nazi, qui entend « détruire le paysage psychique du citadin », écrira Joseph Roth. Néanmoins, dès 1937, c’est vers un projet pharaonique que se dirigera le pouvoir fasciste : Germania.
Maider Darricau





