Un sol commun – Lutter, habiter, penser
Marin Schaffner (dir.)
Éditions Wildproject, 2019 (1 re éd.),
2025 (poche), 234 pages, 15 euros
Il y a des livres qui se noient dans la masse, censés offrir une nouveauté qui, en réalité, répète ce qui a déjà été dit un nombre incalculable de fois, pendant que d’autres surgissent et marquent. Un sol commun, paru chez Wildproject en 2019, est de ceux-là. À l’occasion des dix ans de la maison d’édition marseillaise, ce recueil d’entretiens tisse une trame dense et stimulante à travers une myriade de voix – philosophes, écologues, journalistes, éditeurs.
Le titre en dit déjà long : ici, pas de majuscule à la nature. Loin d’être une entité sacrée ou un refuge bucolique, le « sol commun », c’est le support partagé, conflictuel parfois, mais toujours vivant, fait des liens entre humains et non-humains, entre territoires, espèces, récits et luttes.
À rebours des discours qui évoquent l’avenir à coups de tableur Excel, dans lesquels les chiffres sont les arguments prégnants, ce livre nous parle de la pensée écologique comme d’une matière vivante, sensible et poétique. Le ton est tantôt militant, tantôt méditatif – souvent les deux, avec une grande fluidité.
Nous y croisons Jade Lindgaard, Philippe Descola, Émilie Hache ou Isabelle Cambourakis, mais ce qui importe ici, plus que les noms, c’est le paysage intellectuel qu’ils dessinent ensemble. Un paysage fragmenté, mais riche de possibles. Car si l’écologie qui s’y pense n’a pas encore de « grand récit », comme le reconnaît lui- même Baptiste Lanaspeze, fondateur de la maison d’édition, elle a déjà tracé ses chemins et ses bifurcations.
L’idée de départ est simple : certaines personnes cherchent à penser notre époque autrement, mais ne trouvent pas toujours de réponses satisfaisantes. Si vous enfaites partie, pas d’inquiétude ! Comme le disait Frank Egler, l’un des pionniers dans l’étude de la science de la végétation : « Les écosystèmes ne sont pas seulement plus complexes que ce qu’on pense, mais plus complexes que ce qu’on est en mesure de penser. » Alors, non, ce livre ne détient pas toutes les réponses, mais il donne envie de continuer à chercher, de mettre les mains dans la terre, aux côtés de celles et ceux qui tentent, patiemment, lucidement, d’en formuler. Et relire ces pages aujourd’hui, à l’occasion de leur réédition en format poche, six ans après leur parution, donne aussi une impression mixte : malgré l’urgence, malgré la clarté des constats, presque rien n’a changé. L’écologie reste reléguée aux marges, là où précisément ce livre l’invitait à devenir centrale.
Lucas Boudier