Mémoires dans la ville. Question sensible et enjeu de transmission
Valérie Opériol, Aurélie de Mestral et Federico Dotti (dir.)
(Antipodes, 2024, 216 pages, 22 euros)
Cet ouvrage collectif propose d’approfondir un thème très présent dans l’actualité depuis quelques années : le rapport des villes, notamment par leurs noms de rue, leurs monuments et leurs statues, à l’histoire et à la mémoire, en particulier lorsque celles-ci sont liées à un passé pouvant être ressenti comme douloureux et conflictuel (spécifiquement sur le plan colonial et des identités de genre). Expression d’une évolution sociétale, orientée vers une forme de reconnaissance (qui a, entre autres, été relayée aux États-Unis par le mouvement Black Lives Matter), les pouvoirs publics occidentaux (comme les municipalités), qui ont pu être déstabilisés par la revendication de ces mémoires blessées, doivent aujourd’hui lancer une vaste réflexion sur le devenir des monuments et des odonymes (c’est-à-dire les noms des rues, places et espaces publics).
L’originalité de ce livre est d’être issu d’un projet collectif élaboré au sein de l’Équipe de didactique de l’histoire et de la citoyenneté (Édhice) de l’université de Genève, destiné particulièrement aux enseignants du secondaire. Il s’agit donc à la fois d’un travail de recherche et d’une volonté de l’ancrer dans l’action quotidienne, pour répondre à des questions sensibles de la cité (au sens plein du terme), qui s’invitent spécialement à l’école (en lien avec l’enseignement de l’esclavage, de la colonisation, des rapports de genre et de l’histoire des inégalités sociales et du mouvement ouvrier). Issu d’un collectif d’auteurs engagés, cet ouvrage n’est cependant pas un travail militant au sens étroit du terme, mais davantage une volonté de faire connaître au plus grand nombre des faits historiques et d’éclairer les pouvoirs publics sur la construction des mémoires et leurs répercussions dans l’espace urbain.
En Suisse, comme en France, en Europe comme au-delà, cette œuvre collective est donc d’utilité publique. Bien qu’il s’agisse d’un objet controversé (notamment sur le plan historiographique, s’agissant en particulier de la cancel culture), la question des traces mémorielles peut, en effet, être interprétée comme un objet d’apprentissage pour dépasser les conflits et mieux comprendre notre histoire. Et les différentes contributions offertes par les autrices et auteurs le démontrent pleinement, avec des exemples variés.
Damien Augias