Karan Kandhari
[Capricci, en salle le 11 juin]
Dans nos sociétés occidentales, le mariage est souvent idéalisé comme une belle étape marquant le début d’une nouvelle vie à deux. Mais que ressent une femme, le lendemain d’un mariage arrangé, lorsqu’elle ouvre les yeux dans un rôle totalement nouveau, dans un univers qui ne lui est pas familier ?
C’est cette bascule vertigineuse que propose d’explorer Sister Midnight. Plongée dans un Mumbai suffocant, à la fois surpeuplé, bruyant, chaotique et fascinant, la caméra suit Uma, jeune mariée malgré elle, déboussolée dans cette nouvelle vie dont elle n’a pas les codes. Toutefois attention, Sister Midnight ne saurait être réduit à un film sur le mariage – il est bien plus que cela. C’est un objet hybride, à mi-chemin entre la comédie et le film social satirique.
Tout autant déjanté que féministe, le film est parfois même surréaliste. « Je dirais que le film est punk-rock parce qu’il remet en question des choses qui n’ont pas de sens », comme le considère son réalisateur, Karan Kandhari, porté par une volonté de sortir des cadres conventionnels, notamment ceux imposés aux femmes.
Le film se sert de la métropole la plus peuplée de l’Inde comme un personnage à part entière, doté d’une double personnalité. Le jour, la ville grouille d’une énergie désordonnée et la nuit, elle se vide et devient déserte.
Cette dualité est saisissante dans une scène emblématique du film : Uma se rend sur les quais de Churchgate, pour y voir la mer d’Arabie cherchant un espace de recueillement. Mais face à l’éminente présence d’autres personnes en quête de la même chose, elle prend soudain la fuite, comme si le calme lui était interdit jusque dans les lieux publics reculés.
Visuellement, le film puise dans des grammaires cinématographiques bien connues : des cadrages ultra-symétriques à la Wes Anderson, peu de paroles, ainsi qu’un humour et des mimiques burlesques à la Buster Keaton, ou des panoramiques filés dignes de Scorsese.
Cependant, cette familiarité cohabite avec une autre, dont on se passerait bien : celle des stéréotypes. Car malgré sa modernité apparente, le portrait peint de l’Inde tombe parfois dans les poncifs : chamanes, moines bouddhistes, saleté… Rien de bien nouveau sous le soleil indien.
Lucas Boudier