Les Feux sauvages, actuellement en salle
Un film de Jia Zhangke
Ad Vitam
Des mutations qui l’ont grandement transformée, la Chine en a connu beaucoup durant les cinquante dernières années. Le réalisateur Jia Zhangke, qui s’est fait une spécialité de montrer les changements sociétaux et l’envers du miracle économique chinois, revient cette fois-ci avec une épopée qui retrace ces transformations en nous faisant voyager dans le temps. Le récit, simple en apparence, est centré autour de l’histoire de Qiaoqiao et Bin, amoureux éperdus, qui se retrouvent séparés par l’envie de Bin d’aller tenter sa chance dans une autre province. On suit Qiaoqiao, blessée et murée dans le silence, qui part à sa recherche. Ce périple, à travers leurs rencontres et séparations, s’impose comme une métaphore des profondes modifications de la société chinoise. Si Les Feux sauvages repose sur ce duo de personnages, les trois villes traversées incarnent chacune un aspect de la Chine contemporaine. Datong, située dans l’intérieur du pays, reste à l’écart de la modernisation rapide et symbolise un pays figé dans le passé. Fengjie, ancienne ville principale du barrage des Trois-Gorges, est caractérisée par des bouleversements sociétaux très rapides et violents, comme la migration forcée de 1,5 à 2 millions d’habitants à la suite de la construction du barrage. Enfin, Zhuhai, au sud du pays, reflète la Chine la plus ouverte au reste du monde, moderne et internationalisée. Avec des images allant de 2001 à 2023, le film oscille entre documentaire et comédie dramatique, entre scènes banales du quotidien et moments romantiques. La musique et la danse, omniprésentes, traduisent l’importance de ces domaines dans la vie du réalisateur. Elles accompagnent pleinement une grande partie des scènes, sans avoir particulièrement de continuité entre elles – tout comme le reste du film, empreint d’un certain onirisme. Les Feux sauvages nous fait l’étal du riche « butin de chasse » des images que le réalisateur a récolté durant ces vingt dernières années. Si le rendu final peut paraître éclaté par moments, ce voyage introspectif et nébuleux fascine par son exploration des milieux urbains chinois en perpétuel mouvement.
Lucas Boudier