Une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus
Jean Viard
(L’Aube, 2024, 128 pages, 14 euros)
« L’émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus », disait Martin Luther King, référence qui guide ce livre politique, inspiré des émeutes de juillet 2023, parlant aux banlieues étrangement nommées « quartiers », relevant de la « politique de la ville », termes que Jean Viard, dénonce avec humour et irritation. Il leur substitue « faubourgs » et exigence d’un « récit national postcolonial ».
Ce livre est bienfaisant à l’heure des anathèmes contre ceux qui paraissent à certains impossibles à intégrer, appelant à des référendums contre l’immigration. Viard propose une France solidaire, doublée d’un projet économique nord-sud crédible.
Les dérives de la colonisation corrèlent l’impératif d’être français au rejet de la reconnaissance nationale aux descendants des colonisés, les plongeant maintenant dans une atmosphère de suspicion. « Il est temps de faire une place aux peaux brunes, musulmanes ou non, et à leurs cultures », affirme l’auteur, cette double identité pouvant être un atout pour établir des liens culturels et économiques féconds avec le Sud, et réduire les mouvements d’une population qui trouverait, chez elle, la prospérité qu’elle va rechercher au Nord.
L’ouvrage, utopique et riche de références, évoque des sujets de fond tels que l’hyperconsommation en tant qu’objet de désir ; la dignité refusée aux jeunes des banlieues selon Cynthia Fleury ; la souffrance des femmes – souvent cheffes de famille peu diplômées, sans permis de conduire, sans travail, vivant hors de la ville ; la meilleure réussite des filles…
Éternel optimiste, Jean Viard propose ici un horizon désirable face à une France déprimée qui se résigne au pire, ainsi qu’un nouvel équilibre politique entre villes et banlieues avec des présidents de communautés de communes élus au suffrage universel, la réduction des violences et de l’économie parallèle autour du cannabis pour en faire une économie à part entière, une politique novatrice vis-à-vis de l’islam, de la jeunesse des quartiers, et une forte coopération avec les pays du Sud pour développer une économie fondée sur l’écologie ou la transformation agricole.
L’auteur conclut : « C’est en quittant les vieux cadres de la civilisation et du progrès, en parlant de “décivilisation” comme voie vers une “recivilisation”, que le politique peut retrouver sa puissance et son utopie mobilisatrice. Avec chacun, Noir, Blanc et Brun. Ici. »
Ariella Masboungi