Peut-on s’inspirer des systèmes décentralisés ?

Alors qu’en France la planification urbaine reste relativement centralisée, nous avons interrogé les pratiques de pays où celle-ci l’est beaucoup moins, là où l’État fixe les orientations principales et laisse plus d’autonomie au niveau local. Avec des avantages et des inconvénients.

En France, les décisions d’urbanisme et d’aménagement sont davantage prises à l’échelle nationale que locale, bien que guidées par des principes nationaux. L’État, à travers le PLU, le RNU, le SCoT, le Sraddet 1 et le ZAN (« zéro artificialisation nette »), joue un rôle majeur dans la gestion de l’espace urbain. D’autres pays, en général fédéraux, pratiquent au contraire une planification de l’aménagement et de l’urbanisme décentralisée.

Le principe de subsidiarité y est fréquent: tout ce qui peut être décidé à un niveau inférieur, l’est. C’est vrai en Suisse, en Allemagne, en Espagne… Le gouvernement fixe les grands objectifs de planification urbaine à atteindre, laissant beaucoup de liberté pour ce faire. En Suisse, selon Sonia Lavadinho, géographe et directrice du cabinet Bfluid spécialisé en stratégies territoriales, « des lois-cadres très souples découlent de lois du parlement ou de votations du peuple ». Ce qui n’empêche pas une répartition claire des compétences : « À la Confédération, les autoroutes et les aéroports ; aux cantons et communes, l’application des règles de l’aménagement du territoire. Si les cantons concentrent l’essentiel du pouvoir institutionnel, les villes gardent la capacité d’aménager leur territoire en conformité avec les échelons supérieurs. » En Allemagne, la Fédération peut élaborer des lois-cadres (Rahmengesetze) fixant les orientations générales d’actions confiées aux Länder.

En Amérique du Nord, les États fédérés élaborent eux-mêmes ces orientations, comme aux États-Unis où ils jouent un rôle important dans la législation de l’urbanisme et de l’aménagement. À la suite de l’arrêt Kelo de la Cour suprême du 23 juin 2005, qui reconnaît l’utilité publique d’une expropriation au profit d’un projet d’entreprise pharmaceutique, la plupart des États fédérés ont changé leur constitution pour restreindre l’utilité publique des expropriations au profit d’opérateurs privés. De fait, il n’y a dans ces États quasiment plus d’expropriations dans ce cas – il n’y en avait déjà que peu avant –, ce qui n’empêche pas les opérateurs privés de continuer à faire des opérations d’aménagement, mais sans expropriations. En France, où les expropriations sont fréquentes, « une telle mesure aurait bloqué 90 % des opérations d’aménagement réalisées au profit d’opérateurs privés », estime Camille Mialot, avocat spécialiste en droit public. Toujours aux États-Unis, certains États fédéraux adoptent les premières jurisprudences créant des mécanismes anti-ségrégation dès les années 1970, en interdisant, par exemple, des documents d’urbanisme discriminants. En Espagne, après un franquisme très centralisé, les communautés autonomes (grandes régions) adoptent chacune leurs lois et règles d’urbanisme… qui se ressemblent.

Au Québec, «les municipalités régionales de comté (MRC), regroupant généralement 12 à 15 villes, doivent agir en conformité avec les orientations générales de la province, mais avec un pouvoir d’interprétation local, détaille Michel Rochefort, professeur d’études urbaines et touristiques à l’université du Québec à Montréal (UQAM). À chaque niveau, l’aménagement est un jeu politique. Le pouvoir politique local est reconnu par la jurisprudence. » Les autres provinces canadiennes – excepté l’Ontario, plus interventionniste – n’imposent même pas de conformité pour les documents métropolitains ou régionaux. Par contraste, «en France, la planification nécessaire des SCoT et Sraddet oblige les collectivités à des rédactions très détaillées », observe le géographe Gérard-François Dumont.

Spécialisation fonctionnelle des espaces

Les types de planification se lisent souvent dans l’armature urbaine. Ainsi Paris et l’Ile-de-France apparaissent hypertrophiées à l’échelle de la France, quand l’Allemagne, la Suisse ou même les États-Unis disposent de réseaux de villes dynamiques à tous les échelons de la population. « En France, les villes moyennes sont, sauf exceptions comme Annecy ou Beaune, un peu méprisées, observe Bernard Lensel, président de l’association Urbanistes des Territoires. En Suisse, la ville moyenne est fondamentale : regardez Nyon, Vevey, Morges. » Sonia Lavadinho confirme : « La politique suisse des réseaux de ville sert cet équilibre depuis trente ans. Pour atteindre le même niveau de service et de desserte des villes suisses, les villes françaises doivent être trois à quatre fois plus grosses. » La spécialisation des espaces par fonction (résidentielle, commerciale, industrielle, agricole) ne semble, quant à elle, pas liée au type de planification. En France, sous l’impulsion de l’État, les lotissements connaissent leur apogée dans les années 1960 à 1980, tandis que les ZUP (zones à urbaniser en priorité), « modèles de ghettoïsation », selon Camille Mialot, démarrent dans les années 1960. L’avocat ajoute que « l’explosion du zonage monofonctionnel a eu lieu lors de la décentralisation de la compétence de planification urbaine de l’État vers les communes, au début des années 1980, à travers les POS [plans d’occupation des sols, ndlr] qui spécialisent l’espace : centre-ville, pavillons, zones commerciales et d’activité. Tirant des recettes de ces dernières, elles les développent. Mais le ZAN vient rompre cette logique. »

Frédéric Ville

Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique

Couverture : Juliette Nicot 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À propos

Depuis 1932, Urbanisme est le creuset d’une réflexion permanente et de discussions fécondes sur les enjeux sociaux, culturels, territoriaux de la production urbaine. La revue a traversé les époques en réaffirmant constamment l’originalité de sa ligne éditoriale et la qualité de ses contenus, par le dialogue entre chercheurs, opérateurs et décideurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


Newsletter

Informations légales
Pour recevoir nos newsletters. Conformément à l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978 et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifications et d’opposition, en nous contactant. Pour toutes informations, vous pouvez accéder à la politique de protection des données.


Menus