André Yché, président du conseil de surveillance de CDC Habitat, donne son point de vue sur le Forum Urbain Mondial organisé par ONU Habitat, qui s’est tenu du 26 au 30 juin à Katowice (Pologne). Il s’interroge notamment sur la pertinence de l’exercice au regard des considérables moyens déployés, et sur le rayonnement de la France dans ce type de manifestation.
Du 26 au 30 juin 2022 s’est tenu à Katowice (Pologne) le forum annuel organisé par l’agence de l’ONU (ONU Habitat) chargée de mettre en œuvre le programme (très général) adopté par l’Assemblée générale des Nations unies afin de promouvoir les établissements humains, à travers le développement urbain, à savoir l’accès au logement pour tous dans un cadre respectueux des droits sociaux et environnementaux.
L’agence soutient des projets dans 70 pays, s’appuyant, à cette fin, sur 400 employés permanents auxquels s’ajoutent jusqu’à 2000 contractuels. L’essentiel des ressources, hors fonctionnement courant, proviennent de fonds publics et privés affectés aux projets. Donc, en principe, les objectifs sont clairs et le mode de financement, fondé sur la participation de divers acteurs à des projets d’intérêts collectifs, est précisément défini. Qu’en est-il en pratique ?
L’ambiance des réunions d’ONU-Habitat s’apparente assez largement à de multiples congrès professionnels, celui de l’Union Sociale pour l’Habitat, par exemple. Le climat général s’avère plutôt festif, la plupart des congressistes, parmi lesquels de nombreux habitués, sont heureux de se retrouver et se déclarent satisfaits par avance du résultat des travaux, puisque n’en attendant rien.
Point de surprise
Le premier cercle des intervenants réunit les autorités publiques qui réaffirment immanquablement leur attachement à l’institution ainsi que leur ferme résolution, au titre de leurs fonctions, d’avancer en construisant « une ville durable et solidaire », pour un « meilleur futur » ; donc, point de surprise à ce stade. Tous conviennent de l’importance de la question urbaine et des investissements à réaliser, en insistant, pour la plupart d’entre eux, sur le rôle essentiel de la solidarité internationale : pour reconstruire l’Ukraine, pour reconvertir les territoires miniers de la Pologne, dont Katowice est emblématique ; et surtout, pour subvenir aux besoins incommensurables de l’Afrique. A cet effet, pour l’emploi de crédits occidentaux, l’expertise réelle acquise par de nombreux états asiatiques est mobilisable.
Puis vient le cercle des « experts », généralement porteurs d’intérêts professionnels (architectes, urbanistes, banquiers…) ou désireux de promouvoir l’image de leur entreprise (CDC Habitat par exemple).
Ainsi, les prestataires insistent sur l’émergence de nouveaux métiers, tous plus essentiels les uns que les autres, et les leurs tout particulièrement : les « data scientists » par exemple ou bien les « green planning strategists ». Tous, sans exception, attendent (pour ne pas dire exigent) des pouvoirs publics des textes normatifs, et donc contraignants, ayant pour effet (sinon pour objet formel) de sécuriser leur plan de charge : zéro émissions de CO² en 2030, zéro artificialisation des sols tout de suite, entraînant la nécessité de définir des stratégies opérationnelles ( ?) et des plans d’action dès maintenant, dont ils détiennent d’ailleurs le contenu dans leurs dossiers numérisés…
Les banquiers, autres intervenants incontournables, insistent sur l’importance des financements privés ; mais comme ceux-ci doivent être rentables, ils privilégient les montages publics-privés, dont il est aisé de percevoir où seront principalement localisés les risques. Bref, pour citer Shakespeare : « La vie n’est qu’un théâtre où chacun joue son rôle ».
De l’usage systématique de la langue anglaise
Un des aspects primordiaux de la représentation est la langue dans laquelle s’expriment les acteurs : ici, point d’ambiguïté, c’est en anglais ! Les Anglo-Saxons le pratiquent naturellement, les Asiatiques selon des tonalités diverses qui conduisent l’auditeur à s’interroger sur la nature exacte de l’idiome pratiqué, les Latino-américains introduisent souvent des innovations linguistiques distrayantes, les Africains s’y sont mis plus récemment mais, désormais, se distinguent par un purisme de bon aloi ; tous en somme, sauf les Français !
Naturellement, une prestation de traduction est proposée, aux risques et périls de l’orateur : dans le meilleur des cas, la spontanéité est perdue et l’image technocratique accentuée ; au pire, le contresens est à craindre. En pratique, la représentation française est généralement réservée aux administrations diplomatique et financière : l’aisance dans l’expression (réelle ou présumée) prévaut donc sur le fond.
De fait, ONU-Habitat paraît fort éloignée de la vocation des agences techniques, comme l’OACI pour l’aviation civile ou l’OMM pour la météorologie. Il s’agit donc essentiellement d’une institution à vocation politique, combinée à une activité de travaux statistiques, comme l’ONU elle-même. Bien sûr, ONU-Habitat monte des projets dans les pays pauvres, mais il est permis de s’interroger sur sa réelle valeur ajoutée, au-delà d’apports financiers plus ou moins significatifs et correspondant à des transferts intermédiés. Combien de ces projets auraient-ils vu le jour, sans même l’intervention de l’agence spécialisée ?
Et d’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement : quelle relation effective, autre que symbolique, nouer entre la construction de quartiers écologiques à Fribourg et la gestion des mobilités à Dar-el-Salam ou de l’offre d’habitat nécessaire pour répondre à la déferlante démographique qui submerge les métropoles africaines ?
Cette identité politique transparaît à divers titres : par exemple la relative brutalité de l’éviction de certains collaborateurs lors des évolutions de gouvernance, qui s’apparente à celle, naturelle, des cabinets ministériels : un jour détenteurs du pouvoir de décision réel et pour cette raison, remerciés le lendemain de la relève.
Dès lors, dans une enceinte essentiellement politique, la question des buts de guerre poursuivis par tout participant, en l’occurrence la France, est primordiale.
Comment préserver le rayonnement de la France ?
S’agissant d’un lieu fonctionnant en tant que révélateur d’influence, à la différence du Conseil de Sécurité de l’ONU qui demeure, pour ses seuls membres permanents, un démonstrateur de puissance, il faut donc savoir quels sont les atouts de la France et comment peut-elle préserver son rayonnement.
Pour l’essentiel, l’image de la France est portée par son histoire et sa culture largement diffusée au XX° siècle au sein de la francophonie. On peut donc se demander si le rayonnement national ne serait pas mieux relayé dans le cadre de la francophonie elle-même que dans celui d’enceintes irrévocablement imprégnées de culture anglo-saxonne.
Il n’en demeure pas moins que la société française souffre indubitablement d’une insuffisante ouverture à l’international qui explique notamment les illusions véhiculées par de multiples « influenceurs » quant à la bienveillance et à la légitimité des instances internationales ; plus encore que dans les Amériques encore marquées par le christianisme originel, l’Asie est le continent des rapports de force et de la domination ; quant à l’Afrique, elle hésite à renoncer à ses anciennes amitiés au profit de nouvelles allégeances.
Ajoutons, pour conclure, qu’il n’est jamais inutile de confronter les grands courants de l’opinion nationale aux réalités mondiales : la place de l’Etat-Providence, le rôle du profit, le ressort vital de la responsabilité individuelle ne sont pas conçus de par le monde selon nos canons culturels nationaux : l’énoncé même de la rencontre « World Urban Forum » souligne qu’aux yeux des participants, la fin des métropoles n’est pas d’actualité.
André Yché
* Lors d’une conférence de presse, le 10 septembre 1960 à Nantes, le Général de Gaulle évoquait l’Organisation des nations unies en ces termes : « Le machin qu’on appelle l’ONU. »