Francesco Careri, cofondateur du mouvement Stalker

L’architecte italien Francesco Careri est le cofondateur, en 1995, du mouvement Stalker qui a exploré les interstices urbains de Rome et imaginé des méthodes d’interventions créatives.
Il est codirecteur du master Environmental and Territorial Studies – Environmental Humanities de l’université Roma Tre. Et continue de diffuser la « pratique Stalker ».

 

Quelle est l’essence du mouvement Stalker ?

Comme je l’ai rappelé dans mon livre Walkscapes. La marche comme pratique esthétique [Actes Sud, 2013, ndlr], Stalker est ancré dans le terreau intellectuel des mouvements dadaïste, lettriste et, bien entendu, situationniste. J’ai rencontré Constant à plusieurs reprises. Nous avions un lien fort, il était comme un grand-père. Je lui ai raconté ce que nous faisions à Rome, avec Stalker, cela lui plaisait et il nous soutenait.

Mais Stalker s’est aussi nourri du land art, pas celui qui intervient sur le paysage, mais plutôt celui de la pensée de Robert Smithson [1938–1973], plus écologique, qui marche et cartographie. L’approche de Richard Long [né en 1945] sur le fonctionnement des cartes et le fait que l’on puisse dessiner avec son corps était également importante. C’est presque un complément naturel des situationnistes, à qui il importait moins de représenter, de dessiner. Les membres originels de Stalker étaient également tous épris de philosophie bouddhiste zen.

Enfin, en ce qui concerne le cinéma, je dois bien avouer que lorsque nous avons pris le nom du film d’Andreï Tarkovski [Stalker est sorti dans les salles en 1979], nous ne l’avions pas encore vu ! C’était un ami journaliste, à qui on avait parlé de notre projet de faire le tour de Rome, qui nous l’avait raconté. Peu de temps après, nous avons vu le film que nous avons beaucoup apprécié et étudié. Tarkovski est devenu une référence a posteriori.

 

Le terme « stalker » revêt plusieurs sens. Dans le cas du film, qui est postapocalyptique et mystique, il s’agit de la recherche d’une pièce cachée à l’intérieur d’une zone interdite. Mais il a aussi une connotation péjorative : c’est celui qui suit, qui traque, qui s’immisce de façon obsessionnelle…

Les deux définitions me vont ! Il y a une dimension cachée, mystique, dans ce que nous avons appelé « les territoires actuels ».

Gilles Clément  les a appelés ensuite « tiers paysages », d’autres les ont nommés « friches », « zones abandonnées », « interstices urbains ». Ce sont des lieux où il y a encore quelque chose à découvrir, de mystérieux, de sacré d’une certaine manière.

Il faut une stratégie pour y entrer, adopter une façon de marcher pour les comprendre. Ils ne sont pas quelconques. Il faut les défendre contre la normalisation par la ville ordinaire, contre les projets des urbanistes, des architectes et de l’administration. Et leur laisser la possibilité de demeurer sauvages.

L’autre définition du stalker aujourd’hui, c’est celui qui pénètre votre sphère privée. Cela nous a posé des problèmes aux États-Unis. Ils ne comprenaient pas pourquoi on avait choisi ce nom. Nous sommes, bien entendu, sur une autre notion, celle de l’illégalité et de l’informalité du film de Tarkovski. Le stalker attend que les militaires passent pour rentrer dans la zone. Il connaît les failles du système de surveillance, il franchit les murs et les frontières.

Julien Meyrignac, avec Marco Cremaschi

 

 

Photo : Francesco Careri, cofondateur du mouvement Stalker. © Marco De Bernardis

 

 

 

 

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