L’architecte n’est pas un artiste. Il ne participe pas de l’infinie liberté qui accompagne le génie créatif. Pour autant, faire un pas de côté et reconsidérer la pratique architecturale à l’aune des pratiques – et des pédagogies – artistiques ouvre de nouveaux possibles. Sa capacité d’incorporation des situations échappe, de fait, au seul design. Pendant trop longtemps, l’architecte a été chargé de dessiner des solutions. Il paraît fondamental qu’il participe davantage à penser l’ensemble des enjeux qui précèdent et fondent l’exercice du projet. Il en va de sa responsabilité et de son engagement vis‑à-vis d’une planète et d’une société urbaine en crise.
D’autant que la ville demeure une chose formidable : elle contient 60 % de la population mondiale dans moins de 3 % du territoire disponible. Dans un monde dont on ne connaît que trop bien les limites et la finitude des ressources, il y a « urgence à imaginer de nouvelles conditions d’habitabilité de la planète, dans ses espaces les plus densément peuplés ».
Comment trouver le salut d’une société urbaine exsangue d’injonctions contradictoires, où la seule valeur reste le système économique et la variable d’ajustement de l’individu ? Il nous faut aujourd’hui penser de nouveaux programmes pédagogiques, à même de fonder ces micro- résistances. Nous pourrons ainsi nous engager pleinement dans les enjeux des mondes urbains.
Dans la ville dessinée par les architectes et les urbanistes, dans toute leur diversité de formations et de pratiques, force est de constater qu’il manque cruellement la dimension sensible, si difficile à appréhender. Le corps peut servir de fil directeur pour interroger les transformations de l’habiter à partir de différentes disciplines et pratiques artistiques, conjuguées dans une approche holistique de l’architecture. La réponse aux enjeux de la transition écologique est la toile de fond de ces préoccupations, et le sensible est l’outil qui en conduit les formalisations concrètes.
On demande à la nouvelle génération de trouver les solutions à un désastre écologique qui fait suite à une période de consommation effrénée qu’ils n’ont même pas goûtée. On les forme à dessiner des solutions, quand les plus engagés nous proposent bien plus utilement de formaliser des questions…
Entre expérimentation et recherche-action, il faut sortir de la logique restrictive du projet comme unique vecteur pédagogique. Il s’agit de cultiver l’interdisciplinarité et le travail collectif, de créer des connexions et des liens avec le terrain dans une autre forme d’appréhension du réel. On peut ainsi proposer une alternative sociétale à la commande par une pratique de l’architecture plus politique et en prenant soin de « l’autre ».
L’architecte est condamné à réussir, l’artiste et designer peut chercher, tester, se tromper…, ce droit à l’erreur est la clé du progrès dans la résolution des problématiques énoncées. Aucune science ne saurait mieux trouver de réponses aux enjeux systémiques que pose la transition écologique. La toute-puissance de la logique du projet doit être remise en cause pour mieux accompagner le changement de paradigme dans lequel la création doit prendre le pouvoir, (re)trouver une place majeure et structurante dans la transition que la société appelle de ses vœux.
Ne sous-estimons pas la force de l’art et des artistes pour accompagner cette transition dont tout le monde parle, mais sur laquelle peu parviennent à agir. Les artistes peuvent réenchanter nos univers urbains, en conjuguant les sensations, les émotions et le vivre-ensemble par leur singulière liberté créative.
Donnons à l’enseignement artistique une place de premier plan non pas à la marge des enjeux quotidiens, mais en leur cœur même, pour ressouder des liens sociaux distendus, réimpliquer les citoyens et réparer les territoires.
Pauline Marchetti, architecte, professeure à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris
Photo © page Instagram de la street-artiste collagiste 13 bis
À retrouver dans le n°438 « L’art et la manière »