Pour Éric Reinhardt, les villes sont propices à l’imaginaire
Finaliste du Goncourt 2023 pour son dernier roman Sarah, Susanne et l’écrivain (Gallimard), Éric Reinhardt est l’auteur de plusieurs ouvrages qui font la part belle à des lieux emblématiques où il a vécu.
Le lotissement Levitt de Mennecy ou le quartier du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois, sont de véritables sources d’inspiration.
Quelle nature de matériaux littéraires représentent les villes et les territoires pour un écrivain ?
Je suis un amoureux des villes. Les villes m’inspirent, me nourrissent, leur énergie me soutient et me galvanise. J’aime le désordre de la ville, la variété des atmosphères, les possibilités de rencontres ou d’évènements poétiques que permettent les rues.
J’ai besoin d’intensité et de pouvoir rêver ma vie en même temps que je la vis. C’est ce que m’apportent les villes. Et on en trouve la trace dans la plupart de mes livres, qui s’inscrivent tous, de manière profonde, dans des lieux. Les lieux sont la condition de l’incarnation et de la vérité des situations.
Mon écriture est visuelle et sensitive. Il est primordial pour moi que les lecteurs soient au plus près des pensées, des sensations, du corps, des émotions de mes personnages. D’où l’importance de faire exister les lieux de façon indubitable. J’aime l’idée que mes lecteurs les « voient ».
Ensuite, il arrive que ces lieux ne soient pas seulement le théâtre de l’action, mais qu’ils signifient ou racontent quelque chose d’essentiel par eux-mêmes. C’est le cas du lotissement Levitt, où j’ai vécu de 12 à 18 ans et qui occupe une place centrale dans deux de mes romans. Le Moral des ménages [Stock, 2001 ; rééd. Folio, 2024] et Cendrillon [Stock, 2007 ; rééd. Folio, 2019] sont consacrés à cette classe sociale qu’on dit moyenne et dont je suis issu.
Jusqu’alors, les lotissements de grande banlieue n’avaient pas ou quasiment jamais eu droit de cité dans aucun roman littéraire. On ne les voyait pas davantage au cinéma. Ils n’en étaient pas jugés dignes. À l’opposé, dans mon roman Cendrillon, le Palais-Royal et le café Le Nemours apparaissent comme le centre géométrique de l’imaginaire du personnage principal. Et donc du livre tout entier.
Aujourd’hui, des lecteurs me disent qu’ils pensent à moi chaque fois qu’ils passent par le Palais-Royal. Ce qui me fait éminemment plaisir !
Qu’est-ce que l’imaginaire de l’écrivain, le travail d’écriture peuvent apporter aux réflexions sur la ville et les territoires ?
Justement, le fait de ne jamais oublier que les villes sont des lieux propices à l’imaginaire. Où les gens vivent, sentent, se rencontrent, aiment, espèrent, créent, flânent, pensent, cherchent, etc. Bref, les villes doivent rester vivantes, intenses, mouvantes, véridiques.
On ne doit pas figer les villes, en faire des musées pour touristes, y exclure la vie, la variété et le désordre. J’ai consacré quelques pages à la problématique des zones piétonnes dans mon roman Comédies françaises [Gallimard, 2020 ; rééd. Folio, 2022].
Julien Meyrignac
Photo : Éric Reinhardt. © Francesca Mantovani/Gallimard