ZAN saison 2 : Un mode d’emploi alternatif du « zéro artificialisation »

JMOffner photo Fabien Cottereau

De la comptabilité foncière à l’aménagement des territoires

Le 22 août dernier, en Débats sur le site de la revue Urbanisme, je soumettais la démarche ZAN (« zéro artificialisation nette ») à une contre-enquête sur ses tenants et aboutissants. Progressons maintenant dans la réflexion pour évaluer les capacités du ZAN à jouer le catalyseur de nouvelles pratiques en matière de planification et d’aménagement, à laisser de côté « l’impasse légaliste de l’arithmétique foncière » pour adopter « l’ambition régulatrice de la gouvernance des sols », à toutes les échelles.

 

L’interpellation mérite atten­tion, car les débats en cours peuvent favo­ri­ser deux scé­na­rios peu recom­man­dables. Le pre­mier oublie­rait les pro­blèmes majeurs que la loi cli­mat et rési­lience pré­tend trai­ter, au gré de mises en œuvre assez modestes pour conten­ter les tenants du sta­tu quo. Le second, à coup de décomp­tages caté­go­riels et de sau­pou­drages sur­fa­ciques, épui­se­rait les par­ties pre­nantes dans des com­bats de cal­cu­lette désas­treux pour la lisi­bi­li­té de l’action publique. Entre détri­co­tage pro­cé­du­ral et sur­chauffe ins­tru­men­tale, un troi­sième scé­na­rio vaut d’être testé.

Aujourd’hui, le mes­sage ZAN reste brouillé par des expo­sés des motifs à la mul­ti­pli­ci­té contre-pro­duc­tive, des qui­pro­quos séman­tiques (arti­fi­cia­li­sa­tion, imper­méa­bi­li­sa­tion, urba­ni­sa­tion, éta­le­ment), des oublis inex­pli­qués (l’agriculture face à la tran­si­tion éco­lo­gique), une mesure éga­li­ta­riste d’hectares inter­chan­geables (impropre à la contex­tua­li­sa­tion) et l’absence de pros­pec­tives (donc de pers­pec­tives) ter­ri­to­riales. Il convient d’abord de refon­der l’indispensable réflexion sur l’avenir de nos sols en por­tant des élé­ments de diag­nos­tic à la fois actua­li­sés et com­plé­men­taires. La ques­tion de l’artificialisation per­dra alors ses ambi­va­lences en s’inscrivant dans des pro­blé­ma­tiques plus glo­bales : au niveau natio­nal, les affec­ta­tions du sol par grands sec­teurs ; au niveau local, les fonc­tion­na­li­tés éco­sys­té­miques des sols comme matrices du plan et du pro­jet ; au niveau inter­mé­diaire de grands ter­ri­toires infra­ré­gio­naux, des espaces de contrac­tua­li­sa­tion éta­blis­sant des tra­jec­toires d’optimisation fon­cière. Le ZAN ne sau­rait se résu­mer à de nou­velles manières de bâtir des pro­grammes immo­bi­liers ; ou de ne pas bâtir. Des visions inédites de conce­voir les poli­tiques d’aménagement et de ména­ge­ment des ter­ri­toires sont en jeu.

 

Un préa­lable : le par­tage d’un diag­nos­tic moins par­tiel, actua­li­sé et élargi

La pour­suite posi­tive de la démarche ZAN implique d’apporter quelques amen­de­ments déci­sifs à l’argumentaire déve­lop­pé jusqu’à pré­sent par ses ins­ti­ga­teurs. En pre­mier lieu, sou­li­gnons-le encore, la fameuse dis­pa­ri­tion d’un dépar­te­ment tous les dix ans appar­tient au pas­sé. Les 20 000 à 25 000 hec­tares désor­mais uti­li­sés annuel­le­ment pour l’urbanisation appa­raissent modestes face à la pro­gres­sion de la forêt et à l’enfrichement agri­cole. Les situa­tions locales four­nissent des expli­ca­tions diver­si­fiées à cet appren­tis­sage de la sobrié­té fon­cière, en conver­gence avec l’évolution des mar­chés immo­bi­liers : juges admi­nis­tra­tifs désor­mais sou­cieux du trai­te­ment des espaces NAF (natu­rels, agri­coles et fores­tiers) dans les plans locaux d’urbanisme, maires mal­thu­siens… et ton­deurs de pelouse fatigués !

Les espaces natu­rels, et tout par­ti­cu­liè­re­ment les milieux humides, n’en méritent pas moins de leur conser­ver une atten­tion exi­geante. Il existe pour ce faire un arse­nal juri­dique consé­quent. Et si l’effectivité de cer­tains de ces outils paraît rela­tive, rien n’interdit de remé­dier aux dérives docu­men­tées (loi lit­to­ral en par­ti­cu­lier). Pen­sée ini­tia­le­ment en pro­tec­tion zonale, la pré­ser­va­tion des espaces natu­rels sait aus­si depuis les lois Gre­nelle se décli­ner en cou­loirs. Les trames vertes et bleues (TVB) des docu­ments d’urbanisme, cor­ri­dors éco­lo­giques de cir­cu­la­tion de la faune et de la flore, n’ont pas encore four­ni tout leur poten­tiel. Aux pla­ni­fi­ca­teurs de les mobi­li­ser plus et mieux, notam­ment pour des opé­ra­tions de rena­tu­ra­tion, en cohé­rence avec des sché­mas TVB glo­baux aptes à lut­ter contre la frag­men­ta­tion des habi­tats naturels.

Sou­li­gnons ensuite que les poli­tiques agri­coles sont concer­nées au pre­mier chef par les ambi­tions du ZAN. On semble l’oublier ! Qu’il s’agisse de qua­li­té des sols (richesse bio­lo­gique, poro­si­té, cap­ta­tion de car­bone) ou de pré­ser­va­tion des terres arables, il y a plus à regar­der du côté des mil­lions d’hectares de sur­faces agri­coles que des mil­liers d’hectares des urba­ni­sa­tions à venir. Quan­ti­ta­ti­ve­ment, au-delà des diver­gences de chiffres liées aux méthodes de mesure, en ordre de gran­deur la messe est dite. L’expérience du ter­rain confirme les sta­tis­tiques, quand des terres incons­truc­tibles jouxtent une friche agri­cole sans repre­neur et un peu plus loin un champ nour­ri aux pesticides.

Peut-être l’État manie-t-il plus faci­le­ment les poli­tiques urbaines que les inter­ven­tions vers la sphère agri­cole. Peut-être les poli­tiques agri­coles sont-elles trop struc­tu­rées par les jeux d’acteurs entre l’Union euro­péenne et les indus­triels (agri­cul­ture et agroa­li­men­taire). Quoi qu’il en soit, il n’y aura ni effi­ca­ci­té ni cré­di­bi­li­té de l’action publique en matière de pla­ni­fi­ca­tion et de ges­tion des sols si le monde agri­cole ne s’y trouve pas sérieu­se­ment associé.

Enfin, face aux approxi­ma­tions téléo­lo­giques et métho­do­lo­giques de la loi, la rhé­to­rique s’est peu à peu recen­trée sur un dis­cours déjà bien rodé, celui de la lutte contre l’étalement urbain, doxa pro­fes­sion­nelle plu­ri-décen­nale. Secoué par les inci­dences de la pan­dé­mie sur les aspi­ra­tions rési­den­tielles des Fran­çais, le réfé­ren­tiel « ville com­pacte » tente ain­si de récu­pé­rer la cau­tion éco­lo­gique du ZAN. La boîte à outils est éprou­vée : des friches urbaines à recy­cler, des quar­tiers à den­si­fier, des immeubles à sur­éle­ver, de la nature à faire entrer en ville.

Le psy­cho­drame autour de la caté­go­ri­sa­tion des jar­dins pavillon­naires (en tant que sur­faces agri­coles non-ligneuses) se com­prend ain­si. Si l’objectif est de pré­ser­ver la bio­di­ver­si­té et la poro­si­té des sols, ces ter­rains ne sont natu­rel­le­ment pas arti­fi­cia­li­sés. Si en revanche l’on veut den­si­fier les zones pavillon­naires (par divi­sion par­cel­laire), ces mêmes sur­faces se doivent d’être déjà consi­dé­rées comme arti­fi­cielles… pour ne pas avoir à le deve­nir au risque de faire tour­ner le comp­teur. Les contra­dic­tions intrin­sèques de la loi s’illustrent dans cet imbroglio.

Mais le plus gênant dans ce revi­val de la lutte contre l’étalement urbain est l’imparable accen­tua­tion de son obso­les­cence. Nous l’avons expli­qué dans Ana­chro­nismes urbains (Presses de Sciences-Po, 2020), d’autres cher­cheurs avant nous : l’étalement urbain est là, il a fabri­qué décen­nie après décen­nie des espaces péri­ur­bains diver­si­fiés. Le film ne se rem­bo­bi­ne­ra pas, le com­bat per­du doit donc s’arrêter pour faire place à d’autres pré­oc­cu­pa­tions. C’est aujourd’hui le réagen­ce­ment, non la dis­pa­ri­tion, du péri­ur­bain qui s’avère stra­té­gique, sin­gu­liè­re­ment pour la tran­si­tion écologique.

 

Une gou­ver­nance des sols à trois échelles

 Le qua­li­ta­tif d’abord, le quan­ti­ta­tif sui­vra, c’est le mot d’ordre qui s’impose pour les poli­tiques locales concer­nant les sols, si l’on veut bien s’accorder sur ce diag­nos­tic actua­li­sé et élar­gi. On s’épargne ain­si la diver­gence des objec­tifs de la démarche ZAN pour spé­ci­fier des enjeux propres à dif­fé­rentes échelles d’analyse et d’intervention. Dès lors, les condi­tions seront rem­plies pour reprendre à nou­veaux frais deux inter­ro­ga­tions cardinales :

  • À quels usages sou­hai­tons-nous affec­ter nos sols, dans un double sou­ci de pré­ser­va­tion de leurs fonc­tion­na­li­tés et d’arbitrage entre des formes d’occupations poten­tiel­le­ment concur­rentes ? La ques­tion se pose aux échelles natio­nales et locales.
  • Quelles confi­gu­ra­tions ter­ri­to­riales envi­sa­geons-nous pour enfin pen­ser de façon arti­cu­lée les ave­nirs des cam­pagnes, des ter­ri­toires péri­ur­bains et des villes ou agglo­mé­ra­tions, grandes ou petites, avec l’aide de dis­po­si­tifs ad hoc de contrac­tua­li­sa­tion ? Les réponses s’élaborent à une échelle inter­mé­diaire entre le local des par­celles et le glo­bal des arbi­trages nationaux.

 

Le ter­ri­toire natio­nal en par­tage, à l’aune de l’optimisation des usages des sols

Le ZAN foca­lise l’attention sur moins de 1 % du ter­ri­toire qui va s’urbaniser dans les pro­chaines décen­nies. Mais que vou­lons-nous pour le reste ? Quelles emprises réser­ver aux grands équi­pe­ments, y com­pris logis­tiques ? Quelles parts accor­der aux éner­gies renou­ve­lables, au regard d’un ratio énergie/alimentation déter­mi­nant pour le long terme ? Quelle pon­dé­ra­tion sur­fa­cique entre l’éolien, le pho­to­vol­taïque et les biocarburants ?

Et quelles trans­for­ma­tions d’usage au sein des espaces NAF (nature, agri­cul­ture, forêt) sou­mis à des dyna­miques sub­stan­tielles, en consi­dé­ra­tion des enga­ge­ments de la stra­té­gie natio­nale pour les aires pro­té­gées ? Plus de nature et moins de forêts ? Une réduc­tion ou un accrois­se­ment de la part actuelle de l’agriculture ? Com­ment se sor­tir de la peu sobre prime à la sur­face des sub­ven­tions de la poli­tique agri­cole com­mune (PAC) ? L’agroécologie pren­dra-t-elle plus de place ? Quid des prai­ries à terme aban­don­nées par une acti­vi­té d‘élevage réduite, au nom de la réduc­tion de nos consom­ma­tions carnées ?

C’est une affaire de poli­tiques publiques agri­cole, fores­tière, envi­ron­ne­men­tale, en prise directe avec les enjeux de bio­di­ver­si­té et de cap­ta­tion du car­bone. Elle ne peut être l’addition ni de plans sec­to­riels natio­naux ni de pro­grammes locaux.

Le ZAN per­met-il cette gou­ver­nance trans­ver­sale des sols ? Le pro­jet de compte fon­cier natio­nal esquisse cette vision. Mais le zéro du ZAN en confisque la dimen­sion pros­pec­tive. Et la foca­li­sa­tion sur les terres arti­fi­cia­li­sées pour­suit l’impasse sur tout le reste. À faire dans le quan­ti­ta­tif, c’est pour­tant bien pour pen­ser l’avenir des espaces NAF qu’il fau­drait sor­tir les calculettes.

 

L’échelle par­cel­laire, entre fonc­tion­na­li­tés des sols et pro­jets d’aménagement

La boîte à outils de « limi­ta­tion de l’artificialisation » trouve son ter­rain d’application pri­vi­lé­gié au niveau du pro­jet, de l’urban desi­gn. C’est à cette échelle que s’opèrent le recy­clage urbain, la den­si­fi­ca­tion, l’« urba­nisme fru­gal », en déve­lop­pant des modes opé­ra­toires du « faire la ville sur la ville » déjà bien établis.
Pour autant, même agré­men­tées d’innovations tech­niques utiles, ces démarches ne suf­fisent pas à chan­ger de modèle. À ce niveau de la par­celle et du pro­jet, la révo­lu­tion consis­te­ra à pas­ser du sol sur­face au sol matière.
Les tra­vaux du pro­gramme Muse (« inté­grer la mul­ti­fonc­tion­na­li­té des sols dans les docu­ments d’urbanisme », Ademe/Cerema) par­ti­cipent de ce sou­ci de prise en compte de para­mètres diver­si­fiés. Il s’agit de qua­li­fier les sols en tant que sources de bio­masse, régu­la­teurs du cycle de l’eau, réser­voirs de bio­di­ver­si­té et de car­bone. Un plan local d’urbanisme (PLU) pour­rait ain­si s’appuyer sur cette car­to­gra­phie mul­ti­di­men­sion­nelle des sols pour arbi­trer sur l’optimisation de leurs usages au regard de leurs qua­li­tés pré­sentes ou poten­tielles. Dans le même esprit, L’Institut Paris Region a construit un sug­ges­tif indi­ca­teur de miné­ra­li­té à quatre graduations.

Le ZAN per­met-il cette gou­ver­nance des sols au niveau par­cel­laire ? La logique binaire de la démarche paraît a prio­ri peu com­pa­tible avec cette consi­dé­ra­tion plu­ri­fac­to­rielle. Les don­nées four­nies par l’OCS GE (occu­pa­tion du sol à grande échelle) – méthode de télé­dé­tec­tion ana­ly­sant la cou­ver­ture et l’usage des sols, des­ti­née à mesu­rer sur la France entière arti­fi­cia­li­sa­tion et rena­tu­ra­tion – ne semblent d’ailleurs pas for­ma­tées pour ce faire. Mais l’interpellation ne pour­rait-elle pas sus­ci­ter quelques recherches pour obte­nir plus de la pho­to-inter­pré­ta­tion des images satellites ?

Les plus opti­mistes sou­li­gne­ront que le ZAN aura pu au moins sen­si­bi­li­ser les pla­ni­fi­ca­teurs à cette appré­hen­sion d’un sol en 3D, à charge pour eux d’employer les ins­tru­ments aptes à por­ter ces diag­nos­tics dans l’élaboration des docu­ments d’urbanisme.

 

Les sys­tèmes ter­ri­to­riaux, espaces de contrac­tua­li­sa­tion pour des poli­tiques d’aménagement et de ména­ge­ment des ter­ri­toires en transition

Hec­tare par hec­tare, la logique comp­table du ZAN rive l’œil sur la par­celle. Cette échelle de concep­tion locale décon­necte la démarche de l’indispensable exer­cice de fabri­ca­tion de pro­jets de ter­ri­toires propres à des­si­ner la France des pro­chaines décen­nies, et la des­ti­na­tion de ses sols. À l’heure des tran­si­tions éco­lo­giques, repen­ser l’aménagement urbain et rural sup­pose de repen­ser aus­si et sur­tout l’aménagement du ter­ri­toire. Un amé­na­ge­ment du ter­ri­toire pour des sys­tèmes ter­ri­to­riaux aux des­tins fon­ciers liés, mais non similaires.

Illus­trons cette convic­tion par quelques exemples de confi­gu­ra­tions socio­spa­tiales : une aire urbaine en déprise démo­gra­phique, mais avec une dyna­mique construc­tive en péri­phé­rie ; un ter­ri­toire rural de faible den­si­té orga­ni­sé par un réseau de petites villes, cer­taines en déclin, d’autres non ; une val­lée d’urbanisation linéaire à forte crois­sance rési­den­tielle entre deux agglo­mé­ra­tions moyennes ; une métro­pole attrac­tive entou­rée d’une péri­phé­rie éga­le­ment plé­bis­ci­tée ; une bande lit­to­rale suroc­cu­pée et un arrière-pays déserté…

Au regard de l’optimisation fon­cière, cha­cune de ces situa­tions four­nit une série d’interrogations et de scé­na­rios spé­ci­fiques. Il s’agit bien de sys­tèmes territoriaux/sociospatiaux, en ce qu’ils intègrent des espaces géo­gra­phi­que­ment et ins­ti­tu­tion­nel­le­ment diver­si­fiés mais inter­dé­pen­dants par les cir­cu­la­tions qui les lient et les res­sources qu’ils par­tagent, et par tout ce qu’ils sau­raient échan­ger ou mutua­li­ser. L’État et les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales pour­raient s’accorder afin d’élaborer une typo­lo­gie de situa­tions types, non exhaus­tive mais assez ins­pi­rante pour que les ins­tances locales s’y retrouvent et s’approprient la démarche. On note­ra au pas­sage que nombre de ces situa­tions auront à se pré­oc­cu­per d’inventer un « déve­lop­pe­ment » local sans les hor­mones de crois­sance de la démographie.

Ain­si se des­si­ne­raient des espaces de contrac­tua­li­sa­tion à la carte, pour leur péri­mètre comme leur cas­ting, en charge de défi­nir des tra­jec­toires d’optimisation fon­cière por­teuses de coopé­ra­tions inter­ter­ri­to­riales. À tra­vers les usages et les formes d’occupation des sols, ce sont bien sûr aus­si les pay­sages du quo­ti­dien qui se des­sinent, des cadres de vie qui s’expriment.

Il convien­dra alors de don­ner forme à ces ter­ri­toires en res­pec­tant trois cri­tères aptes à assu­rer une démarche de contrac­tua­li­sa­tion effi­ciente : une adé­qua­tion souple avec une situa­tion type et son cahier des charges asso­cié, un pay­sage poli­tique pro­pice à la coopé­ra­tion, un pilo­tage tech­ni­co-poli­tique assu­mé. Du côté ins­ti­tu­tion­nel, cela peut faire pen­ser à un inter-SCoT épau­lé par une agence d’urbanisme, un dépar­te­ment en dia­logue avec sa métro­pole, une com­mu­nau­té d’agglomération XXL accom­pa­gnée par les ser­vices d’un éta­blis­se­ment public fon­cier… Du côté des pro­cé­dures, il y a à apprendre des contrats de relance et de tran­si­tion éco­lo­gique, des pro­jets ali­men­taires ter­ri­to­riaux, des contrats de réci­pro­ci­té… toutes expé­riences per­met­tant d’oublier un moment l’égalité des ter­ri­toires pour s’intéresser à leur complémentarité.

Le ZAN per­met-il ce dis­po­si­tif à la carte, sans doute pas même ima­gi­né en rêve par les plus ardents pro­mo­teurs de la dif­fé­ren­cia­tion ? Avoir confié aux régions et aux ins­tances de SCoT le soin de mettre en œuvre le ZAN faci­lite-t-il ce néces­saire aggior­na­men­to de la pla­ni­fi­ca­tion en pou­pées russes ? Les régions, dans leur appren­tis­sage des sujets d’aménagement, semblent plu­tôt jouer majo­ri­tai­re­ment le sui­visme éta­tique. Les ins­tances inter­com­mu­nales char­gées des SCoT ont, pour leur part, pris l’habitude de légi­ti­mer leur péri­mètre par les notions de bas­sins de vie, d’emploi, de mobi­li­té, espaces fonc­tion­nels fon­dés sur l’idée de « com­mu­nau­té de des­tin » : l’homogénéité plu­tôt que la com­plé­men­ta­ri­té. Mais les per­tur­ba­teurs com­mu­naux et dépar­te­men­taux pour­raient peut-être bous­cu­ler les pou­pées emboî­tées et don­ner envie aux binômes SCoT-région de ten­ter quelques inno­va­tions tech­ni­co-admi­nis­tra­tives pour inven­ter ces grands ter­ri­toires infra­ré­gio­naux d’optimisation fon­cière. Chiche !

L’enjeu de l’invention métho­do­lo­gique et pro­cé­du­ral de ces sys­tèmes ter­ri­to­riaux dépasse, on l’aura com­pris, le dos­sier ZAN. N’est-ce pas le moment d’en finir avec une exu­bé­rance pla­ni­fi­ca­trice qui épuise élus et tech­ni­ciens ? De dépas­ser les inter­ven­tions caté­go­rielles d’un État trop res­pec­tueux des clas­si­fi­ca­tions et des déli­mi­ta­tions ? Et de recon­naître enfin l’existence des espaces péri­ur­bains, trous noirs de l’interface ville – campagne ?

 

Un new deal pour le périurbain

Les démarches pro­po­sées per­met­tront d’orienter les pro­jec­teurs sur les espaces péri­ur­bains, ce tiers-espace qui devrait aujourd’hui se trou­ver au centre des pré­oc­cu­pa­tions pla­ni­fi­ca­trices et pro­gram­ma­tiques, alors que l’on conti­nue à sur­tout s’occuper des « villes » et des « cam­pagnes ». Là encore, les confi­gu­ra­tions sont diverses mais elles com­mandent toutes un pro­jet ter­ri­to­rial qui ne sau­rait se sub­su­mer dans le local.

Quelle tra­jec­toire pour un espace péri­ur­bain dépar­te­men­tal dyna­mique, par exemple ? Répondre à cette inter­pel­la­tion, c’est anti­ci­per l’évolution des hié­rar­chies urbaines, les rela­tions entre pola­ri­tés com­mer­ciales et cen­tra­li­tés tra­di­tion­nelles, le rythme de déve­lop­pe­ment de l’agriculture péri­ur­baine. C’est pla­ni­fier des den­si­fi­ca­tions pri­vi­lé­giées pour assu­rer des tailles cri­tiques de bourgs en termes de ser­vices, conce­voir des voi­ries dépar­te­men­tales accueillantes aux pié­tons et aux cyclistes. Tout cela peut méri­ter une cer­taine dyna­mique fon­cière. Mais sans réflexion mul­ti­thé­ma­tique, aucun prin­cipe ne sau­rait être convo­qué pour sta­tuer sur la place res­pec­tive des pleins et des vides.

Entre métro­poles-nature et cam­pagnes urbaines, les espaces péri­ur­bains sont les ter­ri­toires stra­té­giques de la tran­si­tion éco­lo­gique. Ils repré­sentent à côté d’autres réfé­ren­tiels une orga­ni­sa­tion spa­tiale qui a sa place jus­ti­fiée pour répondre aux sou­haits de tra­jec­toires rési­den­tielles plu­rielles tout un assu­rant une heu­reuse diver­si­té de l’offre ter­ri­to­riale, pro­pice à la rési­lience. Cha­cun trou­ve­ra son slo­gan : répa­rer le péri­ur­bain (celui de la France « moche »), refaire le péri­ur­bain sur le péri­ur­bain (celui des lotis­se­ments), accom­pa­gner la « revanche des vil­lages » (lutte contre le mitage, l’émiettement) ; en tout cas réin­ven­ter le périurbain.

Le ZAN per­met-il cette gou­ver­nance enfin sys­té­mique, tant atten­due par les mili­tants de l’interterritorialité comme de la contrac­tua­li­sa­tion, double réponse aux impasses d’une décen­tra­li­sa­tion sans règles du jeu effi­cace quant aux impé­ra­tives coopé­ra­tions entre col­lec­ti­vi­tés et aux dia­logues entre l’État et le local ? Cela ne va pas de soi, mais sachons comme le disait Gram­sci conju­guer le pes­si­misme de l’intelligence avec l’optimisme de la volon­té. Ten­tons donc d’opérer un détour­ne­ment notion­nel osé pour ne gar­der du ZAN que l’intérêt à appor­ter au sol et à sa capa­ci­té contem­po­raine à deve­nir le fil rouge, donc le vec­teur de coor­di­na­tion, de l’essentiel des poli­tiques ter­ri­to­riales liées à la tran­si­tion écologique.

 

Jean-Marc Off­ner

Pré­sident de l’École urbaine de Sciences-Po

Cré­dit pho­to : Fabien Cottereau

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