La cité du futur va-t-elle dans le mur ?

Avec le pro­jet Neom, qui prévoit l’édification d’une ville linéaire de 170 kilomètres en plein désert, entre autres réalisations tita­nesques, l’Arabie Saou­dite et son prince héritier veulent repous­ser toutes les limites de la cité du futur. Une entre­prise folle à 500 mil­liards de dol­lars qui entend anti­ci­per la fin de la rente pétrolière du pays et témoigne de sa nécessité vitale de reconversion.

« Un nou­veau miracle pour le monde. » Telle est la pro­messe affichée sur le site inter­net dédié à The Line, pro­jet de cité linéaire plantée en plein désert saou­dien, dont les tra­vaux ont bel et bien démarré, comme en attestent les images satel­lites du chan­tier. Et pour illus­trer ce « miracle » (si proche de « mirage »), la page d’accueil démarre sans crier gare sur une vidéo plein écran digne d’une cinématique de jeu PlayS­ta­tion 5, où une jeune femme tra­verse en volant cette cité mer­veilleuse, à la manière de Peter Pan, fran­chis­sant une forêt urbaine, cares­sant l’eau d’une rivière du bout des doigts, s’engouffrant dans un cou­loir de murs végétalisés reliés par des pas­se­relles trans­lu­cides… The Line se veut « une vision de ce à quoi pour­rait res­sem­bler le monde […], à un moment où le monde a besoin de nou­velles idées et de nou­velles solu­tions ». Le site phy­sique du pro­jet se situe, quant à lui, au nord-ouest de l’Arabie Saou­dite, dans la pro­vince de Tabuk, à l’extrémité sud du golfe d’Aqaba. Avec le golfe de Suez, ils forment les contours mari­times de la péninsule du Sinaï et débouchent tous deux sur la mer Rouge. Longue de 170 km, large de seule­ment 200 m et haute de 500 m, The Line pour­rait accueillir jusqu’à 9 mil­lions de per­sonnes en 2045 dans une super­fi­cie extrêmement réduite : 34 km². À son extrémité, la mégastructure aux parois polies comme des miroirs s’avancerait de quelques dizaines de kilomètres sur la mer. Sur le papier, l’ambition de The Line est celle d’une ville idéale dotée de toutes les ver­tus d’une smart city construite ex nihi­lo : énergie 100 % renou­ve­lable ; usines de désalinisation ; zéro émission de gaz à effet de serre (GES) ; « ville du quart d’heure » sans voi­ture ; incu­ba­teur de tech­no­lo­gie de pointe pour « accélérer le progrès humain », etc. Bref : une Babel moderne à seule­ment « 6 heures de vol de 40 % du globe », conviant toutes les forces vives de la planète à col­la­bo­rer en son sein, quelle que soit leur « diver­sité en matière de culture, d’origine, d’expertise et de pensée » Sans oublier la sécurité, puisque la cité linéaire vise un objec­tif zéro délinquance grâce aux tech­no­lo­gies les plus avancées : recon­nais­sance faciale, don- nées biométriques et même « police prédictive », comme dans la nou­velle de science-fic­tion Mino­ri­ty Report, de Phi­lip K. Dick.

Dans le détail, la concep­tion de The Line est fondée sur la super­po­si­tion des fonc­tions de la ville per­met­tant des déplacements mul­ti­di­rec­tion­nels (vers le haut, vers le bas et à tra­vers), pour un accès rapide aux bureaux, aux écoles, aux parcs et aux loge­ments. Schématiquement, le niveau supérieur, en sur­face, serait dédié aux habi­tants, le niveau intermédiaire aux super­struc­tures, et le sous-sol aux trans­ports. À ce titre, un train ultra­ra­pide per­met­trait de tra­ver­ser les 170 km de la cité en l’espace de seule- ment 20 minutes (il lui fau­dra pour cela se déplacer à la vitesse de 510 km/h, soit la vitesse de pointe du TGV Atlan­tique). Cette hyper­con­cen­tra­tion – pour ne pas dire cette hyper­com­pres­sion – de l’espace per­met­trait une consom­ma­tion plus fru­gale des sur­faces, mais aus­si des res­sources vitales telles que l’eau ; la théorie va jusqu’à pro­mettre des jar­dins hydro­po­niques, qui pro­dui­raient des fruits, des légumes et des fleurs en deux fois moins de temps que les méthodes agri­coles tra­di­tion­nelles. Mais ce n’est pas tout – et loin de là. En juillet 2022, le média américain Bloom­berg, qui s’est pro­curé un docu­ment interne de Neom (nom du groupe por­tant le pro­jet) inti­tulé « cata­logue de style », a listé les inno­va­tions extra­va­gantes de The Line : « des ascen­seurs qui, d’une manière ou d’une autre, volent dans le ciel, un port spa­tial urbain et des bâtiments en forme de double hélice, d’ailes déployées d’un fau­con et d’une fleur épanouie ».

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Rodolphe Cas­so

The Line pour­rait accueillir jusqu’à 9 mil­lions de per­sonnes en 2045, dans une super­fi­cie de seule­ment 34 km². ©D.R.

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