Philippe Rio, maire de Grigny
Élu « meilleur maire du monde » en 2021, Philippe Rio mène depuis 2018 une politique de proximité, visant à retisser le lien social et à rénover une ville construite il y a plus de cinquante ans, initialement sans véritable centre-ville.

Qu’incombe-t-il au maire d’une ville populaire en 2025 ?
Être maire d’une ville populaire aujourd’hui, c’est être au cœur des grands défis de notre époque, à l’échelle locale. Cela signifie s’attaquer aux inégalités, lutter contre le réchauffement climatique et accompagner l’adaptation nécessaire, relever les défis éducatifs, sans oublier l’importance du sport et de la culture. Tous ces enjeux sont liés et s’influencent mutuellement. Il y a aussi, bien sûr, le défi urbain. Ces quatre dimensions structurent mon engagement au quotidien. Je le sais d’autant plus que, formé à Sciences-Po Paris en urbanisme, je pilote l’un des plus grands projets de rénovation urbaine en France, avec la reconstruction d’un quart du parc de logements de la ville. Quant au titre de « meilleur maire du monde », je préfère qu’on dise « meilleur maire pour le monde ». C’est cela que nous essayons de faire, chaque jour.
Vous préférez le terme de « municipalisme » à celui de « localisme ». Pourquoi ?
La commune est un espace politique d’une grande universalité, ce qui a permis le développement de certains concepts. Certains parlent de « communisme municipal », d’autres de « socialisme municipal ». Aujourd’hui, on parle plutôt d’écologisme municipal. La commune, la municipalité, est un espace politique à part entière. Une réflexion s’est donc développée à travers le monde sur le rôle des communes dans la résolution des grands défis de société et dans les réponses politiques à y apporter.
Il existe ainsi différents courants de pensée qui se sont penchés sur ce sujet. Cela a commencé avec Alexis de Tocqueville, qui a souligné que le premier espace de démocratie, c’est la commune.
En effet, la première expérience du pouvoir se fait souvent au sein des communes. À cette échelle, nous devons être à l’initiative de solutions concrètes, accessibles à nos concitoyens. Le municipalisme est un courant de pensée présent en Espagne, en Amérique du Sud ou encore au Kurdistan. Il s’agit de voir comment on peut changer le monde à partir du local. En d’autres termes, le municipalisme se résume bien dans ce qui est plus qu’un slogan, presque un mantra : penser global, agir local.
Comment relevez-vous le défi de transformer Grigny (Essonne) à travers le plus grand projet de rénovation urbaine national ?
La rénovation urbaine concerne à la fois le quartier de la Grande Borne et, sous une autre forme, Grigny 2, la plus grande copropriété dégradée de France avec 5 000 logements, classée en opération d’intérêt national. En réalité, 80 % du territoire de Grigny bénéficie de ce statut, ce qui montre à quel point les défis de la ville sont reconnus comme majeurs par l’État. Notre mission est de renouveler, rénover, revaloriser et réhumaniser une ville qui a été construite de façon précipitée et déséquilibrée : d’un côté, la Grande Borne avec 4 000 logements, de l’autre, Grigny 2 avec 5 000 logements initialement, qui devait en compter 8 000. La population est passée de 3 000 à 26 000 habitants en seulement six ans, une croissance exceptionnelle.
Aujourd’hui, il s’agit de réparer et de construire une ville cohérente. Nous créons un centre-ville pour relier tous les quartiers, une démarche rare dans le contexte urbain français. L’ampleur du chantier est considérable : 15 % du parc de logements sera démoli et reconstruit. Nous intégrons aussi des solutions pour le climat, comme la géothermie profonde, qui réduit de 70 % les émissions de gaz à effet de serre liées aux réseaux de chaleur.
Enfin l’arrivée, du tramway marque une nouvelle étape. À Grigny, 1 300 logements seront démolis et 4 800 rénovés, dont 3 700 à Grigny 2 et 1 100 à la Grande Borne. Les plans de sauvegarde pour Grigny 2 vont permettre d’engager la rénovation, notamment thermique.
Lors des Journées nationales de l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine) en juin, Valérie Létard a annoncé le lancement d’une phase de préfiguration pour un troisième programme Anru. À Grigny, souhaitez-vous vous investir dans ce nouveau volet ?
Oui ! En réalité, c’est tout le pays qui aurait besoin d’un Anru 3. L’Anru reste la seule politique d’aménagement efficace depuis vingt ans, traversant quatre présidents de la République et près d’une vingtaine de ministres. C’est une politique publique de réduction des inégalités spatiales.
Il est normal de s’interroger sur l’avenir de l’Anru et d’en évaluer l’impact. Mais il est évident que Marseille, les territoires ultramarins, les villes moyennes et de nombreuses villes populaires ont besoin d’un Anru 3. Actuellement, l’Anru intervient sur 400 territoires, alors qu’il existe 1 500 quartiers prioritaires : le travail est donc loin d’être terminé.
Si l’Anru 2 avait commencé à intégrer la dimension de l’adaptation au changement climatique, il faut désormais accélérer, car le réchauffement climatique progresse plus vite que prévu. L’Anru 3 doit donc renforcer l’adaptation climatique dans les quartiers denses, notamment face aux îlots de chaleur urbains.
Un autre enjeu est la gestion des transitions. Entre la définition d’un projet et sa réalisation, il peut s’écouler quinze ans. Or, si l’on ne prend pas soin de l’espace public et du bâti pendant cette période, les opérations de rénovation urbaine perdent en efficacité. Il est donc indispensable de mieux penser l’urbanisme transitoire pour accompagner ces projets.
Enfin, la question de l’ingénierie Anru se pose : ce guichet unique n’existe pas dans d’autres dispositifs comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain. Pourtant, certains territoires urbains en difficulté, même sans logement social, pourraient bénéficier de cette expertise. Il faudrait donc envisager d’étendre la réussite de l’Anru à d’autres territoires, y compris ceux en périphérie ou dans les bassins de reconversion industrielle, qui rencontrent des problématiques similaires mais disposent de moins de leviers d’action.
L’Anru est une machine puissante : une fois lancée, elle transforme durablement les territoires.
Quels sont les grands défis du prochain mandat ?
Après un mandat marqué par la crise, la première question est de savoir si le prochain sera lui aussi une succession de crises, ce qui risquerait de ralentir les projets municipaux. L’instabilité géopolitique, politique et financière reste une préoccupation majeure. Comment faire preuve d’agilité face à des crises qui perdurent, alors que le mandat précédent a déjà été très éprouvant ? Il est difficile de mener des projets, de gérer la crise du Covid tout en préparant des dossiers complexes comme ceux de l’Anru [Agence nationale pour la rénovation urbaine, ndlr]. De plus, les premiers travaux de l’Anru ont subi une hausse de 15 % des coûts à cause de la crise énergétique. L’enjeu sera donc de gérer les territoires dans un contexte de crise durable.
Le deuxième point concerne l’exigence écologique. On observe actuellement un recul de l’écologie dans le débat public, alors que nos territoires se sont engagés sur ce sujet durant ce mandat. Il faudra maintenir cet effort malgré le
contexte. Enfin, il y a la question du lien démocratique avec les citoyens. Au milieu de toutes ces crises, celle de la représentation démocratique se fait sentir. Les élus locaux restent, malgré tout, la principale figure démocratique du pays. Il est donc essentiel de consolider la démocratie à partir des communes.
Propos recueillis par Maider Darricau
Photo : Philippe Rio, crédit : Ville de Grigny
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