Du « maire bâtisseur » au « maire réparateur »
Jean-Baptiste Marie, directeur général du GIP Epau, souligne les défis majeurs que devront relever les élus locaux pour répondre à des injonctions contradictoires entre sobriété foncière et attractivité. Il appelle à une redéfinition de la gouvernance ainsi qu’à une évolution des méthodologies d’action territoriale.
Jacques Lacan écrivait : « Le réel, c’est quand on se cogne (1). » C’est aujourd’hui dans l’expérience concrète de la vulnérabilité, dans le choc, frontal et désormais inévitable, que les territoires prennent la mesure des crises qui les traversent et des défis à relever. Les collectivités – communes en premier chef – vivent un quotidien fait d’incertitudes, liées d’abord au changement climatique : sécheresses prolongées, inondations, vagues de chaleur, érosion côtière, incendies… L’augmentation du nombre de demandes au régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat (2)) témoigne d’une mise sous pression des territoires jusqu’alors jamais atteinte.
Parallèlement, les collectivités font face à des mutations socio-économiques profondes qui transforment les équilibres locaux : vieillissement de la population et bouleversement de la pyramide des âges (22 % de la population est âgée de 65 ans selon l’Insee (3)), dépeuplement des territoires en déprise dans le nord-est de la France au profit d’une littoralisation des flux résidentiels, fractures territoriales et inégalités persistantes, développement de la pluri-résidentialité.
Ces transitions affectent les territoires dans la mesure où les modèles de développement hérités d’hier, justifiant l’étalement, l’artificialisation et les logiques sectorielles révèlent leur obsolescence face à l’urgence et l’enchevêtrement des transitions. Ces changements interrogent nos modes de vie, notamment en mettant sous pression notre accès aux ressources naturelles, économiques, ou foncières. Cette réalité appelle la lucidité. Il ne s’agit plus de menaces, de risques à anticiper ou de projections : les collectivités font les expériences sensibles, ni abstraites, ni distantes, de la mise en danger effective de l’habitabilité de nos territoires.
Les maires face aux transitions : une équation à plusieurs inconnues ?
À l’aube d’une nouvelle mandature municipale qui se dessine en pointillé, tant les inconnues sont nombreuses, et dans un contexte où les collectivités sont appelées à contribuer à l’effort national de réduction de la dette (et face au spectre d’une « année blanche »), la transition écologique s’impose comme le nouvel horizon pour l’action publique locale. Elle n’est plus une politique sectorielle parmi d’autres, mais bien un cadre dans lequel doivent s’articuler toutes les autres : aménagement, mobilité, logement, santé, développement économique, agriculture. Ce contexte inédit révèle en réalité les contours d’un nouveau paradigme d’action : échelons de premier recours et de gestion du quotidien, les communes et les intercommunalités sont à la fois les lieux d’atterrissage des politiques sectorielles et les espaces vecteurs des transitions dans lesquels se construisent et s’inventent de nouveaux équilibres.
Les maires sont désormais les pivots d’une action locale tiraillée entre des exigences parfois difficiles à concilier : sobriété et attractivité, développement économique et adaptation au changement climatique. Ces paradoxes se traduisent dans les arbitrages budgétaires : comment maîtriser les dépenses dans un contexte de baisse durable de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour un grand nombre de communes alors que les besoins d’investissements nécessaires à la transition écologique pour les collectivités sont estimés à 21 milliards d’euros par an d’ici à 2030 (4) ? À cette pression budgétaire s’ajoute le coût croissant de l’instabilité, en témoigne l’augmentation de plus de 20 % du montant des primes d’assurances entre 2023 et 2024 5, représentant une part toujours plus importante dans les dépenses des communes, en particulier des plus petites.
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Crédits : Fnau, Lila Castillo
Notes :
1/ Jacques Lacan, Conférence au MIT, 2 décembre 1975.
2/ Selon les données de la Caisse centrale de réassurance (CCR), le nombre de dossiers de reconnaissance de catastrophes naturelles a été multiplié par plus de quatre entre 2015 et 2024 (+319 %).
3/ Insee, Population par sexe et groupe d’âges, 2025.
4/ IGF, L’investissement des collectivités territoriales, 2023.