Budgets en baisse : des maires condamnés à l’inventivité
Alors que l’État met les finances des collectivités locales sous pression, les nouveaux élus pourraient étaler leurs opérations d’aménagement, réorienter les politiques publiques et, parfois même, transiger sur la qualité. Mais simplifier les normes et opter pour un urbanisme plus frugal, et plus participatif, pourraient aussi permettre de faire des économies.
L’État impose des économies : baisse des dépenses pour les 2115 collectivités locales les plus riches, et perte de la dynamique de TVA pour toutes. Certaines aides fondent aussi : ‑54 % pour le Fonds vert et 25 % pour la dotation de soutien à l’investissement local, entre autres. Les cotisations à la CNRACL (retraite) augmentent, quant à elles, tout comme l’indice du coût de la construction (+2,5 %, en 2024, après +12,3 %, en 2023). Et la prochaine loi de finances pour 2026 devrait amplifier les efforts.
Les investissements engagés ne seront pas stoppés
La chasse aux subventions fera donc rage. Mais, des intercommunalités à l’État en passant par les départements étranglés par les dépenses sociales, tous baissent la garde. Que peut-
on espérer ? « L’Europe sera une priorité », prévoit Véronique Pouzadoux, présidente de la communauté de communes Saint-Pourçain Sioule Limagne et coprésidente de la commission
Aménagement, urbanisme, habitat, logement de l’Association des maires de France (AMF). Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, confirme : « Je table sur les recommandations du
groupement logements abordables créé par la Commission européenne début 2025, avec 1 milliard d’euros possibles à la clé. Mes équipes surveillent ! » La communauté d’agglomération Lens-Liévin (Call) convoite, pour certains collèges et écoles, le projet Renomize, consortium européen public/privé dédié à l’industrialisation de la réhabilitation de bâtiments publics. Véronique Pouzadoux appelle l’État à bien établir ses priorités : « L’Anah [Agence nationale pour l’habitat, ndlr] fonctionne bien, mais il faut arrêter de changer les critères. Les crédits investis sont des économies de fonctionnement pour demain. »
On s’attend donc à ce que les acteurs privés soient davantage sollicités : aménageurs, via des PUP [projets urbains partenariaux, lire encadré dans le numéro] ; Fondation de France, particuliers, via des incitations fiscales renouvelées, liste Véronique Pouzadoux. C’est ce que vise la Call, qui affiche en moyenne 40 % de logements sociaux et – en comptant Lens – 8,4 % de vacance : « On veut rééquilibrer, Maison de l’habitat durable à l’appui, par de l’habitat privé et de la rénovation de logements, avec mise en place d’un permis de louer (6 428 délivrés à ce jour) », précise Marie-Francine François, directrice générale des services (DGS) de la communauté d’agglomération nordiste. Et qui dit plus de logements privés, dit aussi nouvelles recettes de taxe foncière. Le conseiller municipal nantais Julien Bainvel s’alarme à ce sujet : « Nantes n’a que 38 % de propriétaires contre 75 % au niveau national ! »
En matière d’urbanisme et d’aménagement, les investissements engagés ne seront malgré tout pas stoppés avant la fin de ce mandat. Ainsi, à Villeurbanne, « on continue nos trois projets phares engagés : trois ZAC [zones d’aménagement concerté] pour 4 100 logements, un PUP et une requalification des espaces publics en centre-ville », explique Cédric Van Styvendael. À Nice, « les deux projets phares du mandat se poursuivent : voie Mathis (sortie ouest) et promenade du Paillon avec renaturation de 9 hectares pour novembre prochain », affirme Anne Ramos-Mazzucco, adjointe au maire et vice-présidente de la Métropole au foncier et à l’urbanisme. Nice a tout de même reporté les aménagements des lignes 4 et 5 du tramway au prochain mandat. Idem à Nantes pour les réaménagements du pont Anne-de-Bretagne ou du musée Jules-Verne, souligne Julien Bainvel.
Au cœur de la ZAC Centralité, le quartier Bollaert, à Lens, se restructure avec le projet Central One : 156 logements, 2 200 m² d’offre commercial et une maison médicale de 3 300 m². Ici, pas question d’abandonner ce projet phare du mandat.
Logements sociaux et privés : ça crispe !
Le prochain mandat risque bien un tassement des opérations. Certes, on recourra à davantage d’endettement…, si la situation financière est suffisamment saine, comme on l’affirme à Nice. À Villeurbanne, « la Ville a financé une étude de restructuration de la dette pour étaler son remboursement », selon le maire, mais cela ne suffira probablement pas.
Les élus n’aiment pas dire qu’ils renoncent. À les écouter, le seul impact pourrait donc être d’étaler les opérations. Pourtant, un peu partout, la situation est tendue tant pour les logements sociaux que privés. « Quand vous imposez à un aménageur 50 % de logements sociaux, il sort alors des logements privés à 10 000 euros/m² et personne n’achète, note Julien Bainvel à Nantes. Au final, vous n’avez ni logements sociaux, ni logements classiques. » Anne Ramos-Mazzucco confirme : « Les acteurs privés peinent. Avec la flambée des prix de la construction, certains permis de construire accordés ne sont pas mis en œuvre. »
Il y aura aussi des arbitrages en défaveur d’autres politiques publiques. Des coupes dans les budgets de la culture, des aides sociales, des aides aux associations, de certains services au public, dans la transition écologique sont à craindre, tout comme la recherche d’économies de fonctionnement. Mais comment renoncer à l’urbanisme qui se voit dans la ville ? Pour Julien Bainvel, « il faut des constructions de logements – Nantes est en retard –, d’espaces commerciaux et des aménagements urbains pour pacifier les déplacements ou favoriser les espaces verts ». La présidente de la communauté de communes (CC) Saint-Pourçain Sioule Limagne acquiesce : « Aménagement et urbanisme restent fondamentaux, sécurité et vivre-ensemble obligent. »
Frédéric Ville
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Crédit : Lila Castillo, Call