Le temps du mandat face à celui de l’urba
Le projet urbain est étroitement lié au mandat municipal. Pour les élus, il s’agit de la vitrine parfaite pour traduire rapidement leurs promesses électorales en actions visibles. C’est dans ce contexte que surgit la question du temps : comment le cycle politique vient-il bouleverser le calendrier de l’urbanisme ?
Depuis 2020, à la Métropole de Lyon, l’arrivée d’une majorité Europe Écologie Les Verts (EELV (1)) a marqué une rupture importante dans la conduite des politiques urbaines, imprimant un rythme soutenu à la transformation de la ville. Lyon connaît une particularité institutionnelle : l’élection différenciée des maires et du président de la Métropole. C’est précisément sur ce point qu’un urbaniste de la collectivité, fort d’une longue expérience dans la maison, constate une évolution significative : « La véritable rupture avec le mandat précédent, c’est que les nouveaux élus revendiquent pleinement leur légitimité. Si bien que le dialogue avec les élus municipaux était presque inexistant au début du mandat, mais cela se renforce aujourd’hui. »
Contrairement aux mandats précédents, marqués par une certaine continuité dans les projets, la nouvelle équipe revendique clairement une volonté d’infléchir rapidement la stratégie urbaine, en faisant de l’adaptation au changement climatique son cheval de bataille. Une culture urbaine qui s’est traduite par des actions rapides et impressionnantes : végétalisation accélérée, développement massif des voies cyclables, désimperméabilisation des sols et promotion de l’économie circulaire. Ce changement de cap répond non seulement à l’urgence climatique, mais aussi à l’injonction d’agir vite et de rendre visibles les résultats sur la durée du mandat politique. « D’habitude, il y avait une continuité de principe sur les projets. Il y avait certes quelques inflexions, mais les projets se suivaient », poursuit l’urbaniste. La dynamique lyonnaise s’inscrit ainsi dans un mouvement national d’accélération de l’action urbaine.
Le réseau cyclable des Voies lyonnaises, c’est 13 lignes, 49 communes, plus de 350 km, d’ici à 2030. Boulevard Stalingrad (Lyon, 6e), le défi était de conserver les platanes centenaires.
Intensification
Pour Sandra Mallet, professeure à l’université de Reims Champagne-Ardenne et autrice de Politiques urbaines de l’accélération (L’Aube, 2024), la pression sur le temps d’action est désormais structurelle : « On observe une transformation des rapports au temps qui va dans le sens d’une accélération. Toute la société, des élus aux techniciens, ressent cette exigence d’aller plus vite, de répondre à l’urgence, exposée au regard direct des habitants et des médias. » La communication accrue autour des projets accentue cette tendance : elle renforce la visibilité du travail des élus et des équipes techniques, les exposant ainsi davantage à la vindicte populaire. Cette accélération des rythmes politiques et médiatiques impose d’inscrire de nouveaux objectifs urbains à l’agenda, dont les résultats doivent être perceptibles à court terme.
Le remodelage du réseau cyclable lyonnais, pour plus de 350 millions d’euros, incarne cette bascule. Cette politique ambitieuse, symbole d’une ville « pro-vélo » et d’une gouvernance affichée, chamboule les habitudes, au détriment de certains usagers, raconte l’urbaniste local : « Pour aménager ces nouvelles pistes, des stations de transport en commun ont été déplacées, ce qui
perturbe la qualité de vie des personnes à mobilité réduite. Dans le centre-ville, on observe une dégradation de la mobilité, pourtant il n’y a pas que le vélo qui compte ! » Sandra Mallet confirme ce décalage entre volonté politique et réalités du terrain : « Les techniciens rapportent souvent que les élus pensent que tout peut aller très vite une fois la décision prise. Cela crée une pression temporelle, où les phases de cadrage technique, réglementaire, de concertation semblent parfois reléguées à l’arrière-plan. »
Changement de cap stratégique
Pour l’urbaniste lyonnais, le véritable changement se lit dans l’orientation stratégique, plus que dans les projets eux-mêmes : la révision du schéma de cohérence territoriale (SCoT), notamment. Certains terrains agricoles destinés à l’activité économique reprennent leur vocation d’origine, et l’économie sociale et circulaire est désormais priorisée. « C’est un choix assumé », commente l’urbaniste. Un choix qui a eu des effets directs sur la philosophie même de l’agence de développement économique pour la région lyonnaise, Aderly, rebaptisée depuis 2024 OnlyLyon & Co, poursuit-il. « Elle n’est plus là pour attirer des grands groupes industriels qui viennent de l’étranger, mais des entreprises qui créent des emplois dans l’économie sociale et solidaire. » Un virage parfois complexe pour les agents, habitués à travailler avec des promoteurs immobiliers, acteurs avec lesquels il devient plus difficile de trouver un terrain d’entente.
Maider Darricau
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Crédit : Lila Castillo, NGE
Note :
1/ Renommé Les Écologistes en 2023.