Derrière les débats sur le ZAN : le défi du logement abordable

Stéphanie Jannin est architecte urbaniste, docteure en aménagement de l’espace, maîtresse de conférences à l’ENSA Paris La Villette et chercheure au LET (Laboratoire Espace Transformations), UMR LAVUE. Élue locale, elle a été adjointe au Maire, vice-présidente de la Métropole de Montpellier en charge de l’urbanisme et vice-présidente de l’EPF Occitanie (2014−2020). Sa pratique et ses activités de recherche porte sur les processus de fabrication de la ville, et du logement en particulier, dans le contexte du renouvellement urbain. Elle appelle à repenser l’aménagement du territoire à travers un changement de paradigme fondé sur l’articulation entre sobriété foncière et logement abordable.

 

Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est sur toutes les lèvres, à la fois impératif écologique majeur et catalyseur d’inquiétudes chez les élus locaux et les professionnels de l’aménagement et de l’habitat. Partout, le constat est le même. Le ZAN – en réduisant davantage encore les gisements fonciers – fait mécaniquement grimper les prix des terrains constructibles, et, in fine celui des nouveaux programmes. Son application est également un casse-tête, en particulier dans les petites et moyennes communes périurbaines où les friches industrielles, militaires ou hospitalières sont rares.

Dans ces communes périphériques plébiscitées par les ménages, les discours des élus locaux diffèrent de ceux relayés dans le débat médiatique : les maires ne sont pas hostiles à la préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (ENAF). Une majorité d’entre eux y voit même un levier de valorisation du cadre de vie communal et, de manière implicite, un enjeu électoral – alors que la figure du « maire bâtisseur » ne constitue plus un horizon politique mobilisateur. Leur principale inquiétude réside dans la difficulté à construire des logements qui répondent aux besoins des populations locales à savoir les jeunes actifs qui ont grandi dans la commune et primo-accédants, les séniors en attente de quitter le pavillon familial devenu trop grand et couteux, les familles monoparentales ou aidantes, etc.

Derrière toutes ces situations, c’est bien la question du logement abordable qui se pose. Si le concept reste flou, ne bénéficiant pas en Europe d’une définition partagé ou d’un cadre juridique clair, l’emploi du terme s’est imposé depuis les années 2010 dans le langage courant des acteurs et observateurs de la fabrique urbaine. Pour les maires, le logement abordable n’est pas un produit immobilier, c’est au contraire le logement de « tout un chacun », celui auquel les populations locales peuvent accéder pour bâtir leur foyer, s’implanter durablement dans un territoire communal qu’ils ont choisi ou encore mettre le pied à l’étrier d’un parcours résidentiel ascendant, en somme l’opposé des produits investisseurs (1).

Le ZAN réinterroge certes en profondeur la fabrique de la ville, mais en creux il met surtout en lumière un problème qui le précède : l’essoufflement progressif des modèles aménagistes hérités des années 80, en particulier celui de la ZAC disons « en extension », laquelle peine à présent à faire sortir de terre des logements abordables. Pour comprendre l’inquiétude exprimée par les élus locaux, pris entre la mise en œuvre du ZAN et la nécessité de répondre à la demande sociale, il faut en effet revenir sur les modèles historiques qui ont structuré la production du logement depuis bientôt cinquante ans, bâtis sur la maîtrise de la valeur foncière et la tenue de la double péréquation.

La première péréquation vise à équilibrer le bilan de la ZAC entre les dépenses (principalement liées aux acquisitions foncières et à la réalisation des équipements publics) et les recettes (provenant pour l’essentiel des cessions foncières destinées à la production de logements). La seconde cherche à compenser les charges foncières minorées du logement abordable (social et libre) par des charges foncières majorées sur le logement libre. Autrement dit, il s’agit de financer la mixité sociale grâce à l’augmentation du prix du logement libre.

L’effet du ZAN sur la valeur foncière est probable mais n’explique qu’une part de l’essoufflement des modèles aménagistes : le fond du problème réside dans la logique de péréquation. Si l’action publique consistant ainsi à maîtriser le prix du logement en le maintenant artificiellement à l’écart des prix du marché par la tenue de la péréquation a longtemps permis de produire une part importante de logements abordables (social et libre), elle montre aujourd’hui ses limites pour au moins deux raisons. D’une part, dans les secteurs tendus, le creusement de cet écart progresse mécaniquement au rythme des logiques de marchés, activant à terme un point de rupture : lorsque les logements libres deviennent difficiles à vendre ou à louer, car trop en décalage avec la solvabilité des ménages, le modèle de production global se trouve mis en échec. D’autre part, le modèle assujettit structurellement la production de la mixité sociale et de l’équipement à la surproduction d’un logement inabordable, donc inadapté aux besoins.

Le ZAN n’est par conséquent pas la cause de la crise actuelle : il révèle un nécessaire et nouveau paradigme, fondé sur la complémentarité indissociable entre le défi du logement abordable et celui de la sobriété foncière. Deux dimensions encore trop souvent traitées en silo, tant leur articulation bouleverse en profondeur les modèles planificateurs et opérationnels connus, questionne les modes de financement, reconfigure les modèles économiques, réinterroge l’ingénierie territoriale et redistribue le jeu des acteurs. À défaut, le risque est de reproduire le scénario des Zones à Faibles Émissions (ZFE) : une ambition environnementale forte et légitime exprimée au niveau national, mais fragilisée localement par l’absence de dispositifs adaptés, notamment pour les ménages modestes et intermédiaires, jusqu’à conduire à son abrogation récente. Le ZAN ne peut réussir que s’il s’appuie sur des mécanismes de justice sociale concrets et anticipés, capables d’assurer une transition équitable et de replacer au cœur du débat le droit au logement dans les secteurs tendus.

Stéphanie Jannin

 

Note :

1) Résultats d’une enquête menée auprès des maires des petites et moyennes communes de la Métropole de Montpellier entre février et juin 2023, in : JANNIN, S. (2024). La fabrique du logement abordable, l’exemple de la métropole de Montpellier, 2024, [Thèse de doctorat, Université de Perpignan Via Domitia].

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