L’urbanisme féministe, pour un droit à la ville pour tous

Ariella Masboungi, Grand Prix de l’urbanisme 2016 et membre du Club Ville Aménagement, rappelle pourquoi il est urgent de s’occuper de la place des femmes dans la ville, encore trop conçue par et pour les hommes, qu’il s’agisse d’espaces publics, de logement, de sport et même d’intelligence artificielle.

Pourquoi diable parler de féminisme, d’égalité des genres, de droit à la ville, à l’heure où nombre de menaces secouent la planète ? Réchauffement climatique, atteintes à la biodiversité, pollution, conditions de santé, guerres, montée des populismes, aggravation des conditions d’habitabilité de la Terre exigeant une alliance mondiale pour parvenir à surmonter les polycrises ? Sans doute parce que le contexte mondial va à reculons sur l’égalité des genres, et que le monde serait meilleur avec l’épanouissement des femmes, d’autant que nombre d’études démontrent que leurs pratiques urbaines sont bien plus écologiques que celles de la gent masculine. Cela impliquerait de faire la ville un peu autrement, appelant des politiques publiques nationales et locales, comme le démontre l’Espagne qui caracole devant. L’éducation à la lutte contre les violences sexistes et intrafamiliales pour aller vers une autre manière de penser la ville, à ce jour androcentrée, devrait s’intensifier pour inverser les processus à l’œuvre de si longue date.

La visite de la magnifique exposition récente de l’œuvre de l’artiste peintre Suzanne Valadon (1865−1938) au Centre Pompidou fait rêver. Que démontre-t-elle ? Que la femme peut déjouer les codes, s’épanouir, ne pas être un objet sexuel et suivre son chemin. C’est ce qu’inspire le caractère frondeur d’une artiste émancipée, visible tout particulièrement dans La Chambre bleue. D’objet, la femme devient sujet, fume avec plaisir et semble se moquer totalement du regard d’autrui. Cet épanouissement est celui que l’on souhaite à toutes les femmes dans la ville, mais aussi à l’humanité entière, ouvrant le droit à la ville au sens de la jouissance de l’espace urbain à tout âge, en toutes circonstances, partout, de jour et de nuit. Pour Christine Bost, présidente de Bordeaux Métropole, « la femme devrait se voir offrir la possibilité d’être visible dans l’espace public aussi librement qu’un homme sans aucune contrainte. C’est un enjeu éminemment stratégique et politique ».

L’urbanisme féministe, oser les termes

Étrangement, le terme « féministe » heurte, alors que sa définition se contente d’indiquer que « c’est un courant de pensée et un mouvement politique, social et culturel en faveur de l’égalité entre femmes et hommes ». Est-ce trop demander quand les femmes ne peuvent plus pratiquer le jogging, voire le vélo, ou encore, tout simplement, jouir de la ville sans être harcelées, voire agressées ? Qu’elles ne prennent plus les transports en commun après 20 heures à Toulouse, malgré les efforts notables de Tisséo, le réseau des transports en commun de l’agglomération ?

Alors, que dire du terme « urbanisme féministe », usité dans beaucoup de pays européens et en Amérique latine, qui fait bondir nombre de professionnels ? Terme dont Eva Kail, initiatrice de l’urbanisme féministe à Vienne, en Autriche, considère qu’il « évalue la qualité des décisions et des processus de planification pour garantir l’égalité des chances, renforce la sensibilité sociale dans la planification et vise le bien-être commun ». Autre définition d’Ixiar Ugalde Gabellanes, architecte à Saint-Sébastien, ville pionnière espagnole qui s’est dotée d’un service Égalité et qui mène une politique publique en la matière, allant de la planification au mobilier urbain : « Un urbanisme qui soit au plus près de l’expérience vitale des personnes, moins “androcentrique”, centré sur l’humain. L’urbanisme féministe est bon pour tout le monde, pas uniquement pour les femmes. »

De nombreuses recherches démontrent que la ville pensée par et pour les hommes, incluant peu le care, privilégiant la voiture, la mobilité domicile-travail – alors que les pratiques féminines sont multidirectionnelles – est parfois dangereuse, non accueillante, excluant les femmes du droit à la ville.

Ariella Masboungi

Lire la suite de cette tribune dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique

Couverture : Lila Castillo, 

Photo : D. R. 

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