Pour bien vieillir, tout sauf l’Ehpad ?

En maison de retraite, chez soi, ou dans l’une des alternatives qui essaiment sur le territoire…, les seniors qui vieillissent le mieux sont ceux qui ne subissent pas leur lieu de vie.

 

Plus des trois quarts des personnes âgées en perte d’autonomie vivent à leur domicile, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales paru en 2024. Même parmi celles lourdement dépendantes, plus de la moitié continuent à habiter chez elles, souvent au prix d’une très forte mobilisation de leur entourage et d’une adaptation de leur logement.

Les autres vivent en Ehpad. Dans notre imaginaire collectif, ces établissements pour personnes âgées dépendantes sont aussi désirables que le bagne devait l’être au XIXe siècle. D’autant plus depuis la révélation du scandale Orpea : les dérives sanitaires, sociales et financières d’un groupe privé ont fini de jeter l’opprobre sur ces structures médicalisées.

Entre les deux, de plus en plus de formules existent. Le ministère en charge compte environ 2 000 places en accueil familial, 5 000 places environ en colocation intergénérationnelle, 75 000 en résidence services seniors (gérées par des entreprises privées) et environ 120 000 en résidence autonomie (gérées par des structures publiques ou privées associatives). S’y ajoutent autour de 10 000 places en habitat inclusif. Créé par la loi Elan de 2018, ce mode d’habitat regroupé est couplé à des services, comme des soins infirmiers ou la présence d’un(e) auxiliaire de vie en permanence, voire celle d’un animateur salarié.

Il y a quinze ans, Édith Cassan se choisit encore une autre voie. Elle s’imagine vieillir avec des amis. Elle a alors 55 ans, des parents dépendants et ne veut pas peser sur ses enfants plus tard. Le projet Boboyaka s’invente à Bègles (Gironde) : une coopérative d’habitants qui choisit ses futurs coopérateurs. Après un long parcours semé d’embûches, il devrait être livré début 2028. Après tant d’années, « il ne reste plus que trois des pionniers, certains sont partis, d’autres sont décédés », explique-t-elle. Les locataires de l’un des 22 appartements de 50 m2 paieront autour de 750 euros chaque mois. Mais avant d’être financier, l’avantage est de s’assurer de vivre selon ses valeurs et ses envies. En l’occurrence, l’idée est de tisser des systèmes d’entraide, sur le principe de l’autogestion et de la mutualisation des ressources, et de maintenir du lien avec l’extérieur, par exemple grâce à une micro-crèche au sein de la structure. « Dans nos statuts, on s’accompagne jusqu’à la mort, même si on sait pertinemment que parfois on ne peut pas éviter l’Ehpad. Mais on retardera au maximum l’échéance. Salles de bains avec douche, jardins accessibles aux fauteuils roulants…, tout est fait pour vivre le plus possible dans le lieu », fait valoir Édith Cassan.

Chariot et paravent : « Repenser le système de distribution des médicaments en Ehpad » (2023), crédit :  Roxane Andrès et Yoann Jacquon

Une troisième voie

« Habiter à proximité de familles, avoir une présence au quotidien et la possibilité de coups de main pour des courses ou être déposé chez le kiné… L’habitat participatif, c’est une troisième voie entre la maison de retraite et chez eux, ce qui leur permet de sortir de l’isolement, explique Charlotte Garcia, salariée du mouvement Habitat participatif France. C’est une façon de prendre soin de leur bien-vieillir en ayant la possibilité de choisir des voisins avec un certain état d’esprit. » Et si « de plus en plus de collectifs se montent », Charlotte Garcia pointe toutefois quelques bémols : « Les candidats seniors sont nombreux à vouloir rejoindre les groupes, mais il n’y a pas beaucoup de places pour eux dans les projets, qui sont d’abord intergénérationnels. » Pour s’assurer une place, il faudrait donc pouvoir créer son propre programme, mais cela demande une énergie et une ingénierie dont tout le monde n’est pas capable. Par ailleurs, si des montages existent avec des organismes HLM, pour les projets en autopromotion, les candidats doivent être en capacité de porter financièrement des coûts conséquents.

D’autres initiatives connaissent également un essor. C’est le cas des béguinages qui, dès le XIIIe siècle, accueillaient des communautés religieuses, et ont connu un regain d’intérêt depuis les années 2010. Soutenus par des associations, des mutuelles, des bailleurs sociaux ou des collectivités, d’anciens béguinages sont restaurés, de nouveaux sont construits, pour recevoir des personnes âgées, notamment aux revenus modestes.

Arrêter l’infantilisation des plus âgés

S’ils sont encore balbutiants ou confidentiels, et loin de l’emporter en volume sur les 615 000 résidents en Ehpad et les millions de personnes demeurant chez elles, ces lieux tiers soufflent un vent frais sur le grand âge et ne sont plus le fait seulement de seniors particulièrement avertis, militants ou aisés.

Et si ces structures alternatives se développent, c’est notamment parce que des collectifs de seniors, comme l’association Old’Up ou le Conseil national autoproclamé de la vieillesse (Cnav), prennent place dans les débats et affirment leur capacité à décider librement de leurs choix de vie pour leur grand âge. Ils cherchent à faire entendre leurs besoins fondamentaux, à commencer par la continuité des liens sociaux.

« Les seniors sont contents quand on leur pose la question » de ce dont ils auraient besoin et envie, enchérit Clémence-Agathe Blanc, urbaniste et chargée de développement et d’animation territoriale au sein du Réseau francophone des villes amies des aînés. La lutte contre l’âgisme – les stéréotypes, préjugés et discriminations liés à l’âge – fait partie des missions du réseau, qui insiste sur la nécessaire participation des premiers intéressés avec leurs spécificités, comme celles des personnes marginalisées vieillissantes.

Lucie Romano 

Lire la suite de cet article dans le numéro 446 « Territoires du soin » en version papier ou en version numérique

Couverture : Mathieu Persan

Crédit photo : Roxane Andrès et Yoann Jacquon.

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