Ergothérapie et urbanisme – pour une approche interdisciplinaire
En recherchant comment maximiser l’autonomie et l’indépendance des personnes en situation de handicap, les ergothérapeutes pourraient venir appuyer la conception de lieux plus accessibles et inclusifs, au-delà du seul respect des normes. D’autant plus que leur méthodologie est très comparable à celles des urbanistes.
À mesure que le tissu urbain s’impose comme le game changer des grands déterminants de santé publique, les collectivités locales, les aménageurs, les agences d’urbanisme affichent des ambitions nouvelles : concevoir des quartiers « favorables à la santé », des espaces publics « qui prennent soin » et des environnements « capacitants », pour reprendre le lexique en vogue. Le champ sémantique déployé autour du lien entre santé et urbanisme n’aura jamais été aussi marketé. Pourtant, derrière ces intentions affichées, l’approche sanitaire demeure encore largement sectorielle et trop souvent réduite à des interventions techniques ciblées : la réduction des nuisances sonores, l’atténuation des îlots de chaleur urbains, la gestion de la qualité de l’air, etc. Des enjeux réels, surtout dans un contexte de dérèglement climatique, mais qui traduisent une logique d’atténuation, curative, centrée sur la réduction des nuisances, plutôt que préventive et systémique.
Cette approche « défensive » oublie trop souvent que la santé ne se résume pas à l’absence de pathologies environnementales. Elle est aussi un état de bien-être, de mobilité, de capacité à habiter, à se projeter et à interagir. Certains concepteurs, comme l’architecte-urbaniste danois Jan Gehl, intègrent ces éléments, souvent sous le prisme de l’usage ou par l’angle d’une réflexion teintée de sociologie urbaine. La plupart ne l’envisagent seulement que sous le prisme normatif de l’accessibilité et du sacro-saint « PMR » (« personne à mobilité réduite »). Derrière cette approche technique, c’est une certaine culture du projet qui se révèle. Les grandes opérations urbaines restent très normées, portées par des expertises principalement techniques : urbanistes, architectes, ingénieurs, paysagistes… Peu de place, voire aucune, n’est laissée à des profils issus du monde du soin, du social, de la santé publique.
Sujet important, l’inclusion (à voir comme la possibilité donnée à chacun de pouvoir pleinement participer aux activités permises par le milieu urbain) est reléguée en dernière position d’enjeux urbains, vus comme nombreux et de plus en plus complexes. Par manque de « temps et de budget et de choix politiques », mais aussi par manque de connaissances, de sensibilisation aux handicaps (il serait d’ailleurs intéressant que les techniciens et les élus se mettent en situation de handicap dans l’espace public pour mieux se rendre compte des difficultés engendrées par les milieux urbains) et d’échanges avec de « vrais » praticiens de santé. Face à cela, ne serait-ce pas le moment pour les équipes de conception de s’ouvrir à d’autres champs disciplinaires ? En intégrant pleinement dans les processus de fabrique de la ville des professionnels de santé qui, par leur regard et expertise, permettraient d’améliorer la prise en compte de l’ensemble des besoins.

Le Centre aquatique olympique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) se veut un lieu de loisirs et d’apprentissage de la natation, accessible à tous, crédit : Florent Abel/CC-BY-SA‑4.0
Une ressource encore peu mobilisée
Parmi les professionnels qui pourraient y jouer un rôle central, les ergothérapeutes représentent une ressource encore largement peu mobilisée. Ils prennent place, timidement, sur certaines opérations, en appui des concepteurs, mais restent très souvent cantonnés à un rôle détaché d’AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage), auprès des CAUE (conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement), par exemple, et trop souvent réduits à la sphère de l’habitat sur le segment de l’adaptation des domiciles. Car la demande explose. En cause, le vieillissement de la population. Le souhait de plus en plus généralisé des personnes de rester le plus tardivement possible en autonomie dans le domicile et le développement du concept d’hôpital « hors les murs ».
En somme, le « bien-vieillir » est une dominante de santé à part entière. Mais l’implication forte des ergothérapeutes dans ce domaine est avant tout une question de posture et de compétences, avec des méthodes de travail qui ressemblent étrangement à celles utilisées dans les démarches de programmation urbaine et architecturale. Observer les usages, comprendre les pratiques quotidiennes, interroger les besoins réels, ajuster les réponses, donner un cadre technique sous le prisme du besoin et de l’usager : cette logique itérative est familière à tout urbaniste engagé dans une démarche de programmation. Elle est aussi, presque mot pour mot, celle des ergothérapeutes. À la croisée du soin et de l’aménagement, leur méthodologie est centrée sur l’analyse fine des interactions entre les individus et leur environnement.
Elias Sougrati
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Couverture : Mathieu Persan
crédit photo : Florent Abel/CC-BY-SA‑4.0





