Les quartiers aux petits soins
Face à la prise de conscience du poids des facteurs environnementaux et socio-économiques dans la santé, les urbanistes prennent le pouls de leurs politiques. Tour de stéthoscope de deux programmes qui déclinent différemment les principes de l’urbanisme favorable à la santé : Quartier à santé positive, à Lille, et Quartiers inclusifs de la Seine-Saint-Denis.
14 h 30, un mardi de fin juillet à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Si les quelques arbres peinent à rafraîchir les passants qui ont bravé les 33 °C à l’ombre, la fraîcheur de la résidence senior de Val Coteau a permis de rassembler plusieurs courageux pour discuter de la transformation du quartier – et de ses implications en matière de santé et d’inclusion. Âgés de 65 à 90 ans, ces aînés sont conviés à faire valoir leur expérience de résidents seniors ou en situation de handicap, dans le cadre d’une démarche initiée par le département de Seine-Saint-Denis et l’établissement public territorial Grand Paris – Grand Est. L’exercice est nouveau pour tous, et soulève les interrogations. Si le couple « santé et urbanisme » est loin d’être inédit – on pensera à l’hygiénisme de la charte d’Athènes – leur union a beaucoup évolué depuis la fin du XXe siècle. D’une part, l’élargissement de la notion de santé comme « un état complet de bien-être physique, mental et social (1) » – au-delà de l’absence d’affection – et l’épidémie de maladies chroniques (2) ont donné une place beaucoup plus forte aux politiques de prévention. D’autre part, la prise de conscience que 70 % de notre état de santé sont déterminés par des facteurs socio-économiques et environnementaux (3) a fait avancer les réflexions autour de l’interdépendance entre la santé des humains, des animaux et l’environnement (4). Autant de transformations qui renouvellent les potentiels d’action des politiques urbaines sur la santé.
Parmi ces leviers, l’urbanisme et le cadre de vie. Les formes urbaines, l’habitat, les transports, les espaces verts… peuvent constituer des facteurs de risque ou de protection sur les déterminants de santé connus : les niveaux de pollution, l’isolement social, l’environnement sonore, les températures, l’activité physique… Cette notion constitue le cœur de l’urbanisme favorable à la santé, initié en 1987 par le réseau Villes-Santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avec l’idée de prendre en considération l’ensemble des facteurs de santé (approche globale), leurs combinaisons (approche écosystémique) et leurs liens avec l’environnement et le climat (approche intégrée).
Le renouvellement urbain, une opportunité en or ?
Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui concentrent un cadre de vie dégradé avec une fragilité socio-économique des habitants, forment un combo explosif en matière de santé. À titre d’illustration, les 32 QPV de la région Grand Est observaient en 2019 une mortalité prématurée 67 % supérieure à celle de l’ensemble de la région (5). Aussi, avec ses 48 milliards d’euros d’investissement, le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) constitue un laboratoire inédit pour prendre en compte la santé des habitants dans la transformation des quartiers.
Quelques centaines de kilomètres au nord de la Seine-Saint-Denis, à Lille, la préoccupation pour la santé des habitants en QPV est partagée. Les indicateurs sont au rouge pour les 3 700 habitants du secteur Concorde : la proximité du périphérique et ses 150 000 véhicules par jour génèrent nuisances sonores et pollution de l’air, et le taux de pauvreté dépasse les 65 % (6). Ce constat a poussé la Ville, la Métropole européenne de Lille (MEL) et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) à développer la démarche Quartier à santé positive dans le but de « réduire les inégalités socio-environnementales de santé en profitant du projet de renouvellement urbain du quartier », explique Sarah Cosatto, consultante senior à la Scet [Services, conseil, expertises et territoires] qui a accompagné la Ville dans l’évaluation du programme (7).
Deux axes ciblent les principaux points noirs environnementaux du secteur, « l’amélioration de la qualité de l’air intérieur et extérieur, avec des exigences fortes pour les nouvelles constructions ; et la réduction de l’exposition au bruit des habitants, grâce à la réalisation d’une butte phonique entre le quartier et le périphérique, qui doit également diminuer les taux de pollution au dioxyde d’azote et particules fines », précise Sarah Cosatto. Le troisième axe vise l’amélioration des conditions d’alimentation, avec le développement d’une petite production locale (ferme et jardins familiaux) et le quatrième, l’amélioration du confort, de la consommation et de la production énergétiques, principalement à travers l’implantation d’énergie photovoltaïque. Profiter de la transformation programmée des quartiers – construction neuve ou rénovation de logements, équipements et espaces publics – « constitue une opportunité rare d’avoir un impact simultané sur plusieurs déterminants de santé des habitants », souligne Sarah Cosatto.
Chloé Vergues
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Couverture : Mathieu Persan
Photo : Marche exploratoire (Bondy, Villemomble et Sevran), crédit : Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis
Notes :
1/ Organisation mondiale de la santé (OMS).
2/ Les maladies chroniques sont responsables de 70 % des décès dans le monde (OMS).
3/ Barton, et al., 2015 ; OMS, 2010 ; N. Cantoreggi, et al., 2010, « Pondération des déterminants de la santé en Suisse », université de Genève.
4/ Concept One Health-OMS.
5/ Rapport 2019 de l’Observatoire national des quartiers prioritaires de la politique de la Ville – Anru.
6/ Bilan de la concertation (2019) et étude d’impact (2020) – MEL.
7/ Le programme a été développé en partenariat entre la Ville de Lille et la MEL avec l’appui de l’Anru, l’ARS et financé par le PIA et conçu par un groupement de MOE emmené par Bruno Fortier, accompagné par Medieco, Tribu énergie et Gamba dans l’adaptation du plan-guide aux enjeux de santé et le Groupe Scet (Scet, Even, Citadia, Aire Publique) ainsi que Pouget consultants, Akajoule, Urbest et Ubat pour son évaluation.





