Pour un ruralisme favorable à la santé

La question de la santé en aménagement est généralement abordée à partir de la ville, principalement avec l’urbanisme favorable à la santé (UFS). Tandis que peu de publications se penchent sur la santé dans l’espace rural. Peut-être parce qu’au sein de la société française, les marques du passé sont encore présentes.

On se souvient des expressions utilisées pour qualifier la ville : « ville mouroir », « ville malade », « espace mortifère englué dans ses miasmes », ou encore « berceau[x] d’épidémies meurtrières ». La ville serait pathogène. Pourtant ce n’est pas en ville que les états de santé sont les plus critiques aujourd’hui (Levy, 2022). « Les habitants du rural vivent deux ans de moins que ceux des villes » (AMRF, 2021, p. 14). En effet, les réalités ont bien évolué depuis le milieu du XIXe siècle, avec l’intégration des enjeux de santé publique dans les aménagements urbains et l’essor de l’hygiénisme.

Les habitants des espaces ruraux, et en particulier les agriculteurs, ont une espérance de vie qui diminue. Ils sont exposés à certaines pollutions et développent des maladies liées à l’utilisation d’intrants. À cela s’ajoute une inégalité d’accès aux soins entre les espaces ruraux et les espaces urbains. Soixante-trois pour cent des bassins de vie ruraux manquent de médecins généralistes (Assemblée nationale, 2023) et sur le 1,7 million de Français dont l’accessibilité aux médecins généralistes, aux infirmiers et aux masseurs-kinésithérapeutes est la plus faible, 75 % habitent dans des territoires ruraux. Aussi, les délais de prise en charge y sont-ils allongés, ce qui freine les diagnostics. Certains habitants renoncent même à se faire soigner, et pas seulement pour des raisons financières. La désertification médicale a donc des effets importants sur la qualité de vie des habitants.

Cette dernière a également des conséquences sur le développement et l’attractivité des territoires ruraux car « l’offre médicale est devenue un facteur incontournable de l’attractivité résidentielle » (CNER, 2025, p. 43). Les Français considèrent l’accessibilité aux services de santé comme l’un des premiers éléments contribuant à leur bien-être sur leur espace de vie (Bourdeau-Lepage, 2024). Pour 53 % d’entre eux, le domaine prioritaire de l’action de l’État est la santé publique devant l’éducation et la justice (Institut Paul-Delouvrier, 2025). Le manque d’offre de soins est un frein à l’installation de nouvelles populations dans les espaces ruraux. Il est aussi un obstacle à l’installation d’entreprises qui cherchent à offrir à leurs employés des conditions de vie favorables, ce qui inclut également une bonne accessibilité aux services et équipements publics comme les établissements scolaires. Or, dans ces espaces ruraux qualifiés de déserts médicaux, bien souvent, les services publics sont peu présents ou peu accessibles pour les habitants dont la mobilité est restreinte. L’implantation d’entreprises se voit ainsi réduite. Mais l’effet ne s’arrête pas là.

Cette insuffisance de services empêche également l’implantation de jeunes médecins qui font de la qualité des services publics un facteur majeur de leur installation (Conseil de l’Ordre des médecins, 2019). À cela s’ajoute l’impossibilité pour ces espaces ruraux de satisfaire certaines attentes de ces jeunes praticiens en matière de temps de travail et de manière de travailler. Alors qu’environ 50 % des jeunes médecins spécialistes ou généralistes aspirent à exercer à temps partiel, leurs prédécesseurs dans les espaces ruraux ont un rythme de travail très élevé et exercent parfois de façon isolée. Cet état de fait modère l’installation des plus jeunes qui cherchent à concilier vie personnelle et vie professionnelle, à accéder à des plateaux techniques et à avoir des interactions avec leurs pairs, notamment en exerçant de manière groupée, par exemple au sein de maisons de santé pluriprofessionnelles.

Lise Bourdeau-Lepage

Lire la suite de cet article dans le numéro 446 « Territoires du soin » en version papier ou en version numérique

Couverture : Mathieu Persan 

Notes :

  • Assemblée nationale, 2023, « Rapport d’information sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 2297) du 10 octobre 2019 sur l’évaluation de l’accès aux services publics dans les territoires ruraux », Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, 176 pages.
  • Association des maires ruraux de France, Accès aux soins en milieu rural : la bombe à retardement ?, AMRF, 2021, 48 pages.
  • L. Bourdeau-Lepage, « Du soin apporté à la nature en ville et du bien- être des citadins », Espaces et sociétés, n° 192, 2024, p. 105–119.
  • CNER, Évolution des facteurs d’attractivité. Le point de vue des agences d’attractivité, CNER, 2025, 65 pages.
  • Conseil national de l’Ordre des médecins, « Enquête sur les déterminants à l’installation », avril 2019.
  • G. Dahlgren & M. Whitehead, Policies and Strategies to Promote Social Equity in Health, Institute for Futures Studies, Stockholm, 1991, 67 pages.
  • Institut Paul-Delouvrier, Les Services publics vus par les Français et les usagers, Baromètre, décembre 2024, 121 pages.
  • L. Leroy, Le Ruralisme. Comment réaliser l’aménagement des campagnes, Les Éditions ouvrières, 1960, 134 pages.
  • A. Levy, « Environnement et santé : nouveaux impératifs de l’urbanisme, vers un éco-urbanisme », dans Urbanisme du bien-être : des initiatives à partager, collectif, 25e université d’été des urbanistes, Conseil français des urbanistes, 2022, p. 21–50.

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