ACCÈS LIBRE : Listes citoyennes et participatives : un mandat aux habitants

Des listes citoyennes et participatives avaient créé la surprise en 2020 en remportant l’élection municipale. D’autres se constituent pour l’échéance de 2026. Toutes veulent faire vivre autrement la démocratie locale, dont les décisions autour de l’urbanisme. Avec des succès, mais aussi des fragilités.

En 2020, au moins 600 listes citoyennes et participatives (LCP) se présentent aux municipales, et 66 sont élues. Si l’émergence de telles listes a déjà été observée en 2014 dans de petites communes, la typologie des collectivités se diversifie. Qu’en sera-t-il en 2026 ? « Il y a d’ores et déjà 200 LCP candidates pour les prochaines élections, mais la campagne va battre son plein à partir de cet automne », avec – pourquoi pas ? – 1 000 listes citoyennes, envisage Élisabeth Dau, cofondatrice de Fréquence Commune. Créée en 2021, cette coopérative qui réunit des citoyens, des chercheurs et des élus accompagne la montée en puissance d’une alternative politique locale fondée sur une démocratie plus directe et délibérative, au-delà de la simple participation citoyenne.

Son rapport intitulé « Prendre le pouvoir pour le partager. Expériences et apprentissages des communes participatives 2020–2026 », publié en mai 2025, est notamment le fruit d’une enquête d’un an dans 21 collectivités. Assemblées citoyennes décisionnaires, conseils municipaux élargis à des non-élus, réorganisations internes plus horizontales… Élisabeth Dau souligne la « force d’expérimentation » initiée notamment dans les petites villes, avec « moins de moyens, mais de plus grands efforts pour aller vers les habitants, les associer pour rendre les choses concrétisables en épousant les contraintes ». Des habitants qui attendent « du maire et de son équipe qu’ils s’engagent à respecter le processus décisionnel collectif et à l’appliquer. C’est ce que fait régulièrement la maire de Poitiers [Léonore Moncond’huy, issue d’une LCP et soutenue par Europe Écologie Les Verts en 2020, ndlr]. Elle vient régulièrement devant les citoyens en disant “je viens prendre ma commande, exécuter mes promesses”. En termes de réparation démocratique, c’est tangible et symboliquement important », commente la directrice d’études.

Quand il s’engage avec une liste participative au Bourget-du-Lac en Savoie (5 400 habitants), Nicolas Mercat ne sait pas qu’il va en devenir le maire en 2020. « Nous avions monté une liste parce que nous étions fatigués de la manière dont ça se passait dans notre commune : un maire qui décide de tout, affirme-t-il. Nous avons organisé un forum citoyen pendant six mois avant l’élection pour mettre à plat quelles étaient nos valeurs, notre projet pour la commune. Notre équipe était composée de ceux qui voulaient s’informer, de ceux qui voulaient faire campagne et de ceux qui voulaient être sur la liste. » Ces pairs le choisissent comme premier édile. Ensemble, ils cherchent à « remettre de la discussion » autour de l’enjeu d’aménagement urbain, en étant à l’écoute de la « maîtrise d’usage » des habitants et en défendant l’idée qu’« un projet bien concerté est riche, plus abouti et mieux accepté ». Mais tout n’est pas rose malgré cette bonne volonté. Les « intérêts économiques considérables », qui « font perdre la mesure aux gens » quand leur foncier passe d’agricole à constructible, sont bien là, tout comme la technicité du sujet urbain est bien réelle pour des novices.

Mais lui et ses colistiers se préparent. La nouvelle équipe mise sur la production de logements pour des jeunes ménages qui n’arrivent pas à s’installer dans la commune, très attractive avec la présence du lac et d’entreprises, mais aussi très contrainte par les lois littoral et montagne et les exigences ZAN (« zéro artificialisation nette ») et SRU (solidarité et renouvellement urbains) avec, à leur arrivée, 15 % de logements sociaux. « On avait ce grand objectif, mais la difficulté était de passer à l’opérationnalité », se souvient-il. Un grand séminaire et des webinaires sur la planification plus tard, tant pour les élus que le grand public, et les démarches participatives commencent, avec des balades urbaines notamment. « Nous avons eu des concertations à plusieurs centaines de personnes » et finalement « zéro contentieux » sur des projets d’habitat inclusif. « À la fin du mandat, nous aurons fait 500 logements, dont du BRS [bail réel solidaire], et serons passés de 15 à 27 % de logements sociaux. Une école aura été rénovée, un réseau de chaleur bois énergie déployé », cite-t-il notamment.

Avec une seule personne à l’urbanisme, l’équipe municipale déploie quatre niveaux de participation : l’information des habitants, la consultation, la coconstruction et la codécision, avec « des projets décidés sans filet sur place », relève Nicolas Mercat. Par exemple, « pour la restructuration d’un hameau, on partait d’une feuille blanche, on a travaillé avec les habitants dans la cour de l’école. Un maître d’œuvre a conçu trois scénarios sur cette base, puis nous avons voté sur ces scénarios via un débat mouvant. Les gens se déplaçaient au gré des prises de parole. Un projet a émergé, et même ceux qui y étaient opposés parce qu’il fallait faire une nouvelle entrée devant chez eux, ont compris le sens de l’intérêt général. Les remarques pertinentes de toutes les parties ont été prises en compte ». « Avec ce système, ajoute Nicolas Mercat, qui repart en campagne pour 2026 sans savoir s’il sera maire en cas de victoire de sa liste, l’engagement est pris sur une décision partagée, avec un fonctionnement plus horizontal, une gouvernance définie en amont. Il n’y a pas de décision prise sur un coin de table. » Et l’espace public devient un support de cet exercice démocratique.

Aurélie Le Meur, ancienne première adjointe de Chambéry (Savoie, 60 000 habitants), également issue d’une LCP (soutenue par EELV), a aussi déployé avec ses colistiers des « formes d’interpellation » dans l’espace public. « De vrais faux conseils municipaux se tenaient à l’extérieur pendant le marché, des assemblées de conseil municipal comme on aurait aimé qu’ils se passent, avec de vraies discussions et des éléments objectifs sur les projets, les coûts, les arbitrages à faire. » La liste dont était membre cette « simple citoyenne » a obtenu 22 % des suffrages exprimés au premier tour, tout comme celle de Thierry Repentin (DVG), avec laquelle ils ont négocié dans l’entre-deux-tours pour faire barrage à l’ancien maire (DVD) Michel Dantin et à ses 37 % de voix.

 

« Les expériences de listes participatives élues sont globalement positives », analyse Élisabeth Dau, qui n’occulte pas pour autant certaines limites, à commencer par « l’épuisement de la ressource participative à trop multiplier les dispositifs », tant de la part des élus que des agents et des citoyens. Elle note aussi que certaines listes ont dû assumer (difficilement) des dettes ou la poursuite de projets engagés auparavant. Autre point qui n’a pas été bien anticipé, selon elle : le rapport à l’intercommunalité. « Cela questionne l’articulation entre un niveau communal qui fait un effort de démocratisation et le niveau intercommunal : comment poursuivre les démarches à cette échelle ? »

Vincent Béal, directeur du département d’études politiques et territoriales à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, pointe, lui aussi, cet enjeu intercommunal, avec des listes citoyennes pouvant finalement perdre le contrôle sur des politiques publiques. Sur l’urbanisme, illustre-t-il, « les intercommunalités ont beaucoup de pouvoir ou cela relève de politiques nationalisées et de grands contrats avec l’État », comme pour la rénovation urbaine. Pour Vincent Béal, par ailleurs, alors qu’à l’échelle européenne des listes citoyennes se sont emparées de questions telles que la régulation des prix des loyers ou la réappropriation de l’espace public privatisé, en France, cela n’a pas pu aller si loin. Il observe toutefois des changements d’approche sur la rénovation thermique des logements, l’adaptation au changement climatique, le genre, l’alimentation, la ville à hauteur d’enfant, l’équité territoriale. Ou encore, à Strasbourg (Bas-Rhin), « des diagnostics sur la manière dont l’investissement public municipal était réparti selon les quartiers » – ce qui n’avait « jamais été fait ».

Mais qu’est-ce qui distingue ces LCP, qui ne se revendiquent pas de partis, mais de valeurs telles que la justice sociale et l’écologie, des partis qui font aussi des efforts pour faire vivre davantage la démocratie locale, d’autant que ces deux types de listes se rapprochent parfois avant le premier tour ? « Les personnes issues des LCP adoptent une posture de coopération, au service du collectif », relève déjà Léa Legras, chargée d’études et d’animation chez Fréquence Commune. Ce qui les distingue, complète Vincent Béal, c’est la volonté des listes participatives de « rompre avec l’urbanisme entrepreneurial et son attractivité à tout prix, qui dominait depuis la fin des années 1990 et au début des années 2000, présente dans les municipalités de gauche comme de droite ». Comme à Nantes (Loire-Atlantique), où la maire et présidente de métropole socialiste Johanna Rolland a ferraillé avec des collectifs, dont Nantes en commun, autour du projet d’Arbre aux hérons, équipement ludique et culturel, abandonné depuis. Pour les LCP, il s’agit « de faire la ville avant tout pour ses habitants et pas pour des populations extérieures, d’arrêter les grands projets inutiles et de remettre de la conflictualité sociale », décrypte le politologue. « Aujourd’hui, on est dans l’opposition d’urgence, économique et sociale. Organiser l’arbitrage démocratique des renoncements n’est pas une petite option et les communes participatives se distinguent aussi en prenant cet enjeu à bras-le-corps », ajoute Élisabeth Dau.

 


LISTES CITOYENNES ET PARTIS

Myriam Bachir, maître de conférences en science politique à l’université de Picardie Jules-Verne, est l’autrice d’un Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, réactualisé en 2022. Son travail fait émerger « trois idéaux types des listes participatives ». Le premier renvoie à l’initiative d’un parti politique qui ferait un discret habillage citoyen, voire un citizenwashing. Le deuxième est plus hybride, avec des partis qui revendiquent de recruter au moins la moitié des colistiers en dehors de leurs rangs. Le troisième est d’initiative citoyenne et non partisane. L’élection n’est pas le seul horizon – ces collectifs préexistent et perdurent à l’échéance électorale.


 

C’est bien sur cet enjeu de renoncements qu’Aurélie Le Meur, première adjointe à Chambéry, quitte ses fonctions. Nous sommes en 2023, à mi-mandat. Malgré le pacte de gouvernance et le programme commun établis entre les deux listes, des divergences demeurent. « Dès décembre 2020, j’ai présenté un projet alternatif à l’équipement sportif de 29 millions d’euros voulu par Thierry Repentin, rappelle-t-elle. Je proposais de le réduire financièrement et au niveau de son empreinte environnementale. » Le conseil municipal ne valide pas son choix. « Cela illustrait nos ambitions différentes. Mais mon engagement visait à faire bouger les choses. » Aurélie Le Meur propose alors de faire scission, mais les autres membres de la liste participative, « investis d’un mandat et d’une capacité à agir », préfèrent poursuivre leur engagement. Actuelle directrice « ville ouverte » de la Ville de Grenoble (Isère), direction pour développer les coopérations internationales et les politiques publiques d’innovation publique, Aurélie Le Meur observe à quel point la collectivité met « la participation citoyenne sous toutes ses formes […] au cœur de toutes les décisions. Ce qui n’empêche pas aux rapports de force en politique de s’inviter, avec des clivages majorité/minorité et une compétition tous les six ans », observe-t-elle. Et de conclure son expérience par le constat que ce mouvement citoyen reste « perfectible » et « nécessite de se réajuster, d’être en capacité de prendre du recul et de proposer des
formes d’implication pour mobiliser toutes les énergies ».

Finalement, « la révolution reste incomplète », analyse Vincent Béal. Nicolas Mercat, lui aussi, trouve quelques biais pour sa commune du Bourget-du-Lac. Par exemple, si l’assemblée était au départ très mixte, au fil du temps et des départs de certains membres, elle s’est retrouvée avec plus d’hommes assez âgés que de femmes. « Il faut de l’énergie pour combattre ce fonctionnement » et maintenir une « exigence » de diversité tout au long du mandat. « La question de sortir de l’entre-soi est un vrai défi », élargit Cléa Fache, de Fréquence Commune. Pour permettre à ces mouvements de perdurer, le partage des rôles est à penser, comme celui d’un « mandat tournant de maire » et d’indemnités réparties différemment. En tout cas, « l’enjeu pour ces élus n’est pas de s’accrocher [au pouvoir], c’est plutôt de savoir comment se renouveler », souligne-t-elle. Les sortants auront-ils face à eux une autre LCP ?

Lucie Romano

Pour acheter le numéro en version papier ou en version numérique

Notes :

Photo : Le maire Nicolas Mercat en balade urbaine, en octobre 2022, pour présenter un projet aux habitants du Bourget-du-Lac (Savoie). Crédit : Mairie du Bourget-du-Lac

Couverture : Lila Castillo

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À propos

Depuis 1932, Urbanisme est le creuset d’une réflexion permanente et de discussions fécondes sur les enjeux sociaux, culturels, territoriaux de la production urbaine. La revue a traversé les époques en réaffirmant constamment l’originalité de sa ligne éditoriale et la qualité de ses contenus, par le dialogue entre chercheurs, opérateurs et décideurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


Newsletter

Informations légales
Pour recevoir nos newsletters. Conformément à l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978 et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifications et d’opposition, en nous contactant. Pour toutes informations, vous pouvez accéder à la politique de protection des données.


Menus