Acculturation des maires : mode d’emploi
À l’approche des municipales, Urbanisme interroge l’acculturation des nouveaux maires : comment les techniciens, détenteurs du savoir, peuvent-ils transmettre les informations aux maires, détenteurs du pouvoir de décision ? C’est la question que nous avons posée aux uns et aux autres.
Qu’y a‑t-il de plus visible dans l’action d’un maire que l’aménagement d’une ville ? Son entretien, son renouvellement, sa modernisation sont quasiment sa vitrine. C’est aussi l’un des éléments les plus impactants dans la vie des habitants. Aussi, dès leur arrivée, même les édiles qui ne se sont jamais penchés sur la question doivent saisir les nombreux enjeux de l’aménagement urbain. Les ressources envisageables peuvent aussi bien être externes qu’internes aux services municipaux. Sciences-Po Bordeaux, par exemple, propose des formations à destination des nouveaux élus qui ont remporté les dernières élections municipales en Gironde. « De nombreuses listes citoyennes ont remporté les élections, aussi nous leur avons proposé de se former. Mais ces listes sont composées de beaucoup d’élus continuant à exercer une activité en parallèle de leur mandat. Notre offre s’est perdue dans les sables », regrette Gilles Pinson, professeur en sciences politiques et urbaniste. Les élus ont pourtant droit à ces formations, mais, souvent, il faut qu’un membre des services de la commune prenne l’initiative de l’organisation pour enclencher les choses.
« Lorsque je travaillais dans une petite commune de 1 200 habitants dans le Jura, nous avons proposé au maire des formations dispensées par l’Association des maires ruraux locale et l’Association des maires de France », détaille Antoine Cauvé, actuellement chargé d’études en urbanisme prévisionnel pour Mulhouse Alsace Agglomération. Lui-même reconnaît la difficulté à inciter les élus encore actifs à prendre le temps de se former. Aujourd’hui, alors qu’il travaille pour une agglomération de 275 000 habitants, il dispose des ressources internes pour organiser des sessions de formation qui ne portent surtout pas ce nom-là. Il a adopté une autre stratégie : « Nous organisons plutôt des réunions en soirée, après le travail, pour leur livrer les
bases de l’urbanisme, les enjeux, le rôle d’un PLUi [plan local d’urbanisme intercommunal, ndlr]…, de manière qu’ils disposent des éléments nécessaires pour développer une vision d’aménagement. » En s’appuyant sur des projets concrets, ils peuvent ainsi livrer les clés indispensables à la prise de décision politique.
Mais d’autres maires sont proactifs sur le sujet, à l’image de Damien Allouch, élu de la ville francilienne d’Épinay-sous-Sénart. « Dès le lendemain de mon élection, ma première réunion était avec l’Anru [Agence nationale pour la rénovation urbaine], pour un projet de rénovation urbaine en cœur de ville, où 200 démolitions et 1 000 réalisations étaient prévues, avec des questions d’aménagement très lourdes. Lors de cette réunion, je n’ai rien compris, si ce n’est que les décisions prises dans les trois premiers mois de mon mandat allaient façonner la ville pour les vingt pro- chaines années. Alors, je leur ai demandé de refaire une réunion, une fois, puis encore une fois, jusqu’à ce que je comprenne. »
Mais l’élu ne s’arrête pas là : il décide de s’inscrire en master d’urbanisme et reprend ses études. « Je ne pouvais pas dépendre à 100 % de bureaux d’études qui me raconteront ce qu’ils veulent bien me raconter. » Aujourd’hui, l’édile maîtrise les « grandes mécaniques », ce qui lui permet de mener lui-même les concertations avec les habitants, auxquels il peut expliquer les enjeux liés au PLU. « Pour moi, le PLU c’est l’objet politique numéro 1 avec le budget. Être capable de l’assumer devant l’État, la Région, les partenaires…, c’est primordial. Avec cette démarche, j’ai gagné du poids vis-à-vis de mes interlocuteurs. »
L’histoire de Damien Allouch est emblématique des problématiques rencontrées par la plupart des nouveaux élus : ils se glissent dans un mandat en reprenant les projets existants, qu’ils ne peuvent pas toujours remanier. « Les situations sont parfois délicates, lorsque le nouveau maire s’est fait élire sur la promesse de faire tomber un projet », relate Antoine Cauvé. « Ce n’est évidemment pas toujours possible, j’ai connu des cas où les histoires finissent devant le tribunal administratif, et où l’élu doit rétropédaler. »
Le document et le territoire
Parfois encore, c’est le préfet qui ouvre la voie. C’est ce qui est arrivé à Gérald Cantournet, élu à la tête d’une liste citoyenne dans la commune de Tullins, 8 000 habitants, en Isère. Parmi ses propositions de campagne, cet entrepreneur sans notions d’urbanisme avait inscrit la rénovation de la place du centre-ville, qui n’a pas changé depuis cinquante ans. En rencontrant le préfet, ce dernier lui suggère de candidater pour le label Petites villes de demain. Le nouvel élu découvre alors que ce label lui permet d’engager une cheffe de projet financée à 75 % par l’État. Et c’est elle qui va l’acculturer. « J’étais entièrement absorbé par les affaires courantes. Je n’avais pas cinq minutes pour parler de prospective. C’est elle qui nous oblige à sortir de ce quotidien. »
Elle, c’est Amandine Decérier, qui débarque avec ses méthodes, permettant de structurer le projet de réaménagement de la place. Elle arrive un an après la labellisation. « Lorsque je découvre le travail réalisé jusque-là, je comprends que le maire n’assiste plus aux réunions, car l’équipe s’attache à des détails et n’avance pas. Alors, je construis une gouvernance avec des instances où chacun peut apporter son point de vue au bon moment. Et je constate qu’en donnant un cadre, ils s’investissent et comprennent qu’à la fin, la décision est politique. » Vis-à-vis du maire, l’urbaniste note son intérêt pour les questions d’aménagement. Au fil des discussions, il s’approprie les concepts et les mécaniques. Pour faire entrer tous les élus dans le processus, « je leur ai demandé de partager leurs constats sur le centre-ville. C’est ce qui m’a permis de commander des études thématiques pour confirmer avec des chiffres ces constats subjectifs, mais aussi d’en découvrir d’autres et d’aller plus en profondeur ».
Marjolaine Koch
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Couverture : Lila Castillo
Photo : Dans le cadre du programme de rénovation de la place du centre-ville de Tullins (Isère), l’Atelier des Cairns, paysagistes concepteurs mandataire, a réalisé une maquette au 1/200e de la place, exposée dans la maison des projets, crédit : Atelier des Cairns