Construire et promouvoir la santé humaine : l’environnement enrichi

Avec l’allongement de l’espérance de vie et la hausse rapide du nombre de personnes âgées dépendantes, nos sociétés sont confrontées à un défi majeur : comment préserver la santé ? Les réponses ne résident pas uniquement dans les soins, mais aussi dans un acteur dont le rôle a été longtemps sous-estimé : l’environnement.

Vieillir n’est plus seulement une question médicale. « Un milieu physique adapté peut faire toute la différence entre indépendance et dépendance pour tous les individus, mais il revêt une importance particulière pour les personnes âgées », souligne le rapport sur le vieillissement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’accroissement de la population âgée entraîne de forts besoins pour la prise en charge des fragilités et polypathologies (1). La relation entre environnement et santé existe depuis longtemps, mais a surtout visé à nous protéger des nuisances potentielles.

Si les principaux travaux de recherche (2) ont permis de faire émerger des lignes directrices utiles, ils s’inscrivent dans la démarche traditionnelle, à savoir comment aménager l’environnement afin qu’il n’amplifie pas les troubles et fragilités observées chez la personne âgée, en particulier lorsqu’elle est atteinte de démence. Or, depuis quelques décennies, une autre voie s’ouvre : celle de la « salutogenèse », théorisée par Aaron Antonovsky en 1979 : plutôt que de voir l’environnement comme un simple facteur de risque, il s’agit d’en faire un levier promoteur de santé. L’objectif est de favoriser des interactions avec notre environnement, qui puissent participer de la stimulation de notre mémoire, notre intelligence, notre santé et notre bien-être.

Le monde actuel accorde une grande importance à la perception visuelle, souvent au détriment des autres sens, qui influencent profondément notre bien-être. L’environnement peut être pensé pour stimuler tous nos sens et favoriser l’épanouissement, et l’architecture possède une dimension neurologique et thérapeutique capable d’améliorer confort, créativité, lien social et santé. L’histoire montre d’ailleurs que de nombreuses civilisations ont, de manière intuitive et empirique, su établir une relation entre environnement et bien-être, en concevant des lieux véritablement promoteurs de santé.

L’environnement enrichi et le modèle murin

Nos travaux ont pris pour inspiration la richesse extraordinaire de connaissances scientifiques développées par les recherches en neurosciences sur l’environnement enrichi. Donald Hebb (3), dans ses travaux pionniers en 1949, a développé le concept d’environnement enrichi, décrivant, à partir d’observations sur des souris, la relation entre l’environnement et la plasticité cérébrale. De nombreuses publications ont mis en évidence les avantages de l’enrichissement environnemental (EE) en tant que stimulation significative de l’anatomie et de la physiologie du cortex cérébral, aux niveaux biochimiques et moléculaires, prévenant ou inversant les déficits liés au vieillissement (4). Des protocoles robustes et normalisés ont permis d’étudier diversement les effets de l’EE sur diverses maladies et troubles liés à l’âge sur le modèle murin [l’expérimentation sur des souris, ndlr], suggérant que celui-ci pourrait former une réponse valable à de nombreux problèmes de santé chez l’homme.

Du gérontologique au sociétal

Depuis plus de dix ans, des études cliniques menées à l’hôpital universitaire Charles-Foix (Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne) ont confirmé la validité de la transposition à l’humain de ces travaux jusque-là réservés aux neurosciences. Les premières transpositions du concept d’EE ont été effectuées sur les espaces extérieurs d’institution gériatrique – du fait de la moindre pression des normes architecturales et des coûts plus réduits de l’aménagement d’un dispositif expérimental. C’est ainsi qu’a été décrit le concept de « jardin enrichi (5) » qui intégrait un changement de représentation majeur en plaçant le patient au centre de la conception et en confiant à l’environnement des missions spécifiques de promotion de la santé et de bien-être des patients accueillis.

L’enrichissement du jardin se forme par l’aménagement de « modules » spécifiques constituant la matière active du jardin. Les modules sont conçus pour stimuler cognition, comportement et sensorialité, avec interactions régulières (environ 4 fois/semaine) et renouvellement des dispositifs. Les études sur le « jardin enrichi » ont également exploré la notion d’appropriation spatiale par le résident (6) – une dimension essentielle lorsqu’il s’agit pour une personne âgée de quitter son domicile pour entrer dans une institution gériatrique ; d’autant que le sentiment d’être chez soi est essentiel pour la construction de l’identité d’un individu. Une étude conduite en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) a permis de souligner le rôle important de plusieurs éléments favorisant l’appropriation spatiale : l’esthétique de l’espace suggérant la fierté d’y résider, la convivialité et le sentiment de liberté s’écar- tant de la pression de la vie en collectivité et, enfin, la possibilité d’y laisser librement une trace ou son empreinte.

Étienne Bourdon 

Lire la suite de cet article dans le numéro 446 « Territoires du soin » en version papier ou en version numérique

Couverture : Mathieu Persan 

Notes : 

1/ J. Belmin, P. Chassagne, P. Friocourt, Gériatrie (coll. « Pour le praticien », 4e édition), Elsevier Masson, 2023, 939 p.

2/ M.P. Lawton, “The elderly in context: Perspectives from environmental psychology and gerontology”, Environment and Behavior, 17(4), 1985, p. 501–519 ; G. Marquardt, P. Schmieg, “Dementia-friendly architecture. Environments that facilitate wayfinding in nursing homes”, Z Gerontol Geriatr, 42(5), 2009, p. 402–407 ; J. Zeisel, “Environmental design effects on Alzheimer symptoms in long-term care residences”, World Hospitals and Health Services : the official journal of the International Hospital Federation, 36(3), 2000, p. 27–31, 36, 38 ; R. Fleming, B. Goodenough, L.F. Low, L. Chenoweth, H. Brodaty, “The relationship between the quality of the built environment and the quality of life of people with dementia in residential care”, Dementia, 15(4), 2016, p. 663–680 ; P.D. Sloane, C.S. Williams, C. M. Mitchell, J.S. Preisser, W. Wood, A.L. Barrick, et al, “High-intensity environmental light in dementia : effect on sleep and activity”, Journal of the American Geriatrics Society, Oct 2007, 55(10), p. 1524–1533.

3/ D. Hebb, The organization of behavior; a neuropsychological theory, Wiley, 1949.

4/ M.C. Diamond, D. Krech, M.R. Rosenzweig, “The effects of an enriched environment on the histology of the rat cerebral cortex”, Journal of Comparative Neurology, 123(1), 1964, p. 111–120 ; N. Berardi, C. Braschi, S. Capsoni, A. Cattaneo, L. Maffei, “Environmental enrichment delays the onset of memory deficits and reduces neuropathological hallmarks in a mouse model of Alzheimer-like neurodegeneration”, Journal of Alzheimer’s Disease, 11(3), 2007, p. 359–370 ; C.J. Faherty, K. Raviie Shepherd, A. Herasimtschuk, R.J. Smeyne, “Environmental enrichment in adulthood eliminates neuronal death in experimental Parkinsonism”, Molecular Brain Research, 134(1), 2005, p. 170–179 ; W.A. van Gool, M. Mirmiran, “Effects of aging and housing in an enriched environment on sleep-wake patterns in rats”, Sleep, 9(2), 1986, p. 335–347.

5/ E. Bourdon, J. Belmin, « Le concept de jardin enrichi, une innovation en gériatrie », Soins Gérontologie, 27(157), 2022, p. 31–36.

6/ E. Bourdon, J. Belmin, « L’appropriation de l’espace par le résident en institution gériatrique : une étude qualitative sur le jardin enrichi en Ehpad », NPG Neurologie – Psychiatrie – Gériatrie, 22(132), 2022, p. 358–368.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À propos

Depuis 1932, Urbanisme est le creuset d’une réflexion permanente et de discussions fécondes sur les enjeux sociaux, culturels, territoriaux de la production urbaine. La revue a traversé les époques en réaffirmant constamment l’originalité de sa ligne éditoriale et la qualité de ses contenus, par le dialogue entre chercheurs, opérateurs et décideurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


Newsletter

Informations légales
Pour recevoir nos newsletters. Conformément à l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978 et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifications et d’opposition, en nous contactant. Pour toutes informations, vous pouvez accéder à la politique de protection des données.


Menus