Faire démocratie dans les quartiers de demain
Alors que de nombreuses métropoles dans le monde expérimentent des formes avancées de démocratie urbaine – des conseils de quartier, à Madrid, aux jurys délibératifs, à Melbourne –, la France tente de rattraper un certain retard. Avec le programme Quartiers de demain, elle pourrait bien franchir un cap et devenir un exemple.
En vogue depuis une dizaine d’années, la démocratie participative est devenue un terme fourre-tout. Mais derrière les mots – consultation, concertation, coconstruction, codécision – se cachent des formats aux contours flous, souvent perçus comme des démarches sans effet réel sur les décisions. Dans les faits, la participation reste très souvent consultative, sans impact concret sur le pouvoir de décision. C’est en tout cas ce que confirme le Baromètre de la confiance politique réalisé par le Cevipof : en 2024, 68 % des Français estimaient que la démocratie fonctionnait mal ou très mal (1). Pourtant, dans cette même enquête, 88 % affirmaient que « le meilleur mode de gouvernance » reste un système politique démocratique (2). La promesse initiale – pallier la verticalité de l’action publique et redonner la parole à celles et ceux qui ne la prennent pas – reste souvent lettre morte. Entre manque de représentativité et simulacres de démocratie, les limites sont nombreuses et surtout visibles, comme le rappellent Nicolas Rio et Manon Loisel dans leur essai Pour en finir avec la démocratie participative (Textuel, 2024), où ils remettent en cause les outils mis en place, qui montrent leur impuissance face à la crise démocratique à l’œuvre.
En Europe, plusieurs villes ont intégré des dispositifs participatifs avancés, souvent plus aboutis qu’en France. À Madrid, la plateforme Decide Madrid (3) a permis aux habitants de proposer et voter des projets municipaux à grande échelle, bien au-delà des budgets participatifs, souvent symboliques en France. À Bruxelles, des assemblées citoyennes (4) tirées au sort sont directement reliées aux institutions, avec un pouvoir réel d’influence sur les politiques urbaines. En Suisse, les jurys citoyens et les budgets participatifs sont institutionnalisés dans plusieurs cantons… Autant d’exemples qui montrent qu’une participation plus structurante et délibérative est possible.
Une éclaircie : le programme Quartiers de demain
Lancé fin 2024, le dispositif Quartiers de demain ambitionne de renouveler l’approche participative dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Ce sont 1 362 quartiers en France métropolitaine, représentant environ 5,3 millions d’habitants, qui sont concernés. L’objectif ? En faire des démonstrateurs de la transition environnementale, tout en valorisant leur patrimoine bâti et en expérimentant de nouvelles formes de participation citoyenne. Le principe de ce dispositif est relativement simple : sur dix sites sélectionnés – représentatifs de la diversité des QPV français –, des jurys citoyens ont été constitués. Le cahier des charges pour la constitution de ces jurys citoyens était de réunir des habitants, des usagers et des associations présents dans les quartiers. Les points de parité essentiels étaient ceux de genre et d’âge – le but était, d’après Sunnight Carvalho-Kebede, experte en participation citoyenne, qui accompagne la mise en place du jury citoyen, « de garantir une plus grande diversité de profils, en évitant la surreprésentation de certaines catégories de population habituellement très présentes dans ce type de dispositifs ». Le calendrier du programme est volontairement resserré ; les équipes disposent de moins d’un an pour imaginer ce que seront les « quartiers de demain ». La consultation a débuté en novembre 2024, les 30 équipes ont été sélectionnées en mars 2025, et les lauréats seront désignés en octobre prochain.
L’école Jean-de-la-Fontaine, dans le quartier des Templiers, à Coulommiers (Seine-et-Marne), doit faire l’objet d’un projet de rénovation et de réhabilitation.
Mais ce rythme soutenu présente aussi un avantage: il limite l’essoufflement souvent observé dans les démarches participatives de long terme. « Nous avons recruté 20 personnes par jury, en anticipant que seules certaines s’impliqueraient de manière continue – constituant ainsi un noyau dur présent à chaque séance. L’investissement demandé aux citoyens a été pensé avec soin, nous ne voulions pas les sursolliciter. À ce titre, je pense que le temps court est une force », souligne Céline Laurens, directrice du programme Quartiers de demain. Symbole de cet engagement : la « manufacture nationale » – un grand workshop réunissant concepteurs, décideurs et membres des jurys citoyens – s’est tenue les 5 et 6 juin. Sur les 200 membres invités, une centaine étaient présents. « C’est représentatif de l’implication des jurés dans le projet », observe Céline Laurens. En dehors du calendrier serré, le principe de jury citoyen n’est pas tant développé en France. Ce genre d’expérimentation permet aussi de voir et de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, notamment en Suisse – où les jurys citoyens sont très développés et où les budgets participatifs sont institutionnalisés depuis plusieurs années. Pour Céline Laurens, l’intérêt de cette démarche réside dans le fait « qu’elle se déroule dans le cadre d’un dialogue compétitif », c’est‑à-dire une procédure dans laquelle plusieurs équipes candidates dialoguent avec le commanditaire public tout au long du processus, afin d’élaborer conjointement les meilleures réponses à un projet complexe. Dans ce cadre, les scénarios programmatiques sont coconstruits avec les membres du jury citoyen, qui participent activement à l’élaboration des orientations du projet. Intérêt que Sunnight Carvalho-Kebede souligne également : « Il y a l’idée de sortir du modèle de la participation citoyenne, qui se cantonne à de la consultation des habitants, et de rentrer dans des espaces délibératifs. »
Lucas Boudier
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Couverture : Juliette Nicot / Photo : Laurent Ivol
Notes :
1/ Baromètre de la confiance politique 2024, p. 27.
2/ Op. cit., p. 69.
3/ https://decide.madrid.es/
4/ ACB, pour assemblée citoyenne bruxelloise.