Habitat informel : l’expérience française en outre-mer
L’urbanisation informelle dans les territoires ultramarins défie les outils classiques, entre absence de planification, mitage et exposition aux risques. Des dispositifs tels que la loi Letchimy tentent de trouver une réponse juridique et sociale, malgré une mise en œuvre complexe. Mais ces outils sont-ils réplicables pour les pays voisins ?
L’habitat spontané, souvent qualifié d’informel ou d’« autoconstruit », désigne les formes d’urbanisation développées en dehors des cadres juridiques et réglementaires officiels. Il peut s’agir de logements édifiés sans autorisation, sur des terrains occupés illégalement ou ne respectant pas les normes de construction en vigueur. Ces habitats émergent en réponse à l’incapacité des villes à loger rapidement et décemment des populations en croissance rapide, particulièrement dans les pays en développement. Selon les données de l’ONU-Habitat, environ 1 milliard de personnes vivent actuellement dans des quartiers d’habitat informel, soit autour d’une personne sur huit dans le monde, et une sur quatre dans les villes. Ce chiffre pourrait atteindre 3 milliards d’ici à 2050, en raison de l’urbanisation galopante, des crises économiques, de l’instabilité politique et des effets du dérèglement climatique. La question de l’habitat spontané représente donc un enjeu majeur dans les villes du monde, et dans certaines régions telles l’Afrique subsaharienne où elle concerne jusqu’à 60 % des urbains.
Une réponse française particulière
La France connaît, elle aussi, cette problématique dans certains de ses territoires ultramarins, et particulièrement en Guyane et à Mayotte. Dans ces territoires, le cadre réglementaire hérité de la métropole a longtemps peiné à prendre en compte les logiques locales d’occupation et d’usage du sol, rendant nécessaire l’émergence de réponses plus souples et contextualisées.
Dès lors, il apparaît intéressant d’analyser les réponses qui y sont faites et ses réplicabilités à l’étranger. Une partie des observations est tirée d’une mission réalisée pour le compte de l’établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane (EPFAG) en 2023–2024 sur le quartier de Sablance, à Macouria, considéré, avec plusieurs milliers d’habitants, comme un des principaux quartiers d’habitat spontané sur un département français.
En France, il n’existe pas de politique publique nationale explicite dédiée à l’habitat spontané, ayant longtemps été considéré comme une anomalie marginale à éradiquer. Les réponses sont fragmentées, souvent portées localement, et mobilisent différents outils de la politique de la ville, du logement, et de la lutte contre l’habitat indigne. Ce n’est que récemment que l’État a commencé à reconnaître la nécessité de traiter ces situations par des approches plus structurelles et adaptées, au-delà de la seule répression ou des opérations de démolition.
« Petite place », étude urbaine du quartier informel de Sablance, Macouria, Guyane, OIN 1.
Les procédures mobilisées sont souvent préexistantes et ont rarement connu d’adaptation à cette problématique, qu’il s’agisse de l’application du Code de l’urbanisme (interdiction de construire sans permis), des actions de traitement de l’habitat indigne ou des installations illicites, des procédures d’évacuation ou de relogement, souvent contentieuses. Parmi ces procédures, il est régulièrement fait appel au dispositif de résorption de l’habitat insalubre (RHI), bien que plus ancien, mais qui reste un levier essentiel permettant aux collectivités locales, avec le soutien de l’État, d’acquérir des terrains bâtis insalubres, d’y mener des travaux de requalification ou de reconstruction, et de proposer des solutions de relogement. Par ailleurs, les zones d’aménagement différé (ZAD) constituent un outil de préemption foncière stratégique, autorisant la maîtrise publique du foncier en anticipation d’une opération d’aménagement. Ces dispositifs, combinés aux programmes d’intérêt général (PIG) et aux procédures de déclaration d’utilité publique (DUP), permettent de construire un cadre opérationnel capable de faire dialoguer régularisation, amélioration de l’habitat et planification urbaine. La difficulté principale réside dans l’absence de stratégie d’urbanisme anticipée : souvent, les quartiers spontanés émergent plus vite que la planification. La principale réponse de l’urbanisme réglementaire est de nature coercitive : il en va notamment des plans de prévention des risques (PPR), utilisés pour interdire les constructions en zones dangereuses, mais souvent en décalage avec la réalité du terrain (présence massive d’habitat informel déjà installé en zones à risque, comme c’est le cas à Sablance).
Yvain Dobel
Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique
Couverture : Juliette Nicot / Axonométrie : Atelier Marniquet Aubouin, EPFAG, 2025