L’architecture au secours des enjeux humain et collectif
Rachel Bocher, psychiatre des hôpitaux, et Simon Davies, directeur de l’agence AIA Environnement, plaident pour un urbanisme relationnel. Leur objectif : déstigmatiser la santé mentale dans l’espace urbain, en misant sur la prévention par la qualité du cadre de vie, en dépassant la seule compétence du « soin ». Cela implique d’agir à la fois sur les déterminants sociaux, environnementaux et sensoriels, et de mobiliser l’ensemble des acteurs : élus, architectes, professionnels du soin et citoyens.
La santé mentale constitue aujourd’hui un enjeu fondamental de santé publique représentant la première cause d’invalidité en France, le premier poste de dépense de l’Assurance-maladie (23,5 milliards d’euros), et affectant jusqu’à un Européen sur quatre, notamment chez les jeunes de 15 à 25 ans, tranche d’âge où émergent plus de 80 % des pathologies psychiatriques. Pourtant, seuls 25 % de ces jeunes demandent de l’aide. Ce constat alerte sur l’importance de sortir la santé mentale du champ strictement médical pour l’inscrire dans une approche interdisciplinaire, intégrant l’urbanisme, l’architecture et les politiques publiques locales.
En santé publique, il est indispensable de prendre en compte les déterminants de santé qui sont à plus de 70 % socio-économiques, biologiques et environnementaux. C’est pourquoi, que ce soit l’habitat, les espaces verts, les transports ou encore la culture et le sport, tout joue un rôle fondamental sur notre état de santé et, notamment, notre état de santé mentale. Dans cette dynamique collective, il faut donc agir ensemble, élus, professionnels de santé et professionnels de différents secteurs concernés, usagers et familles, pour qu’un nouveau mode d’action soit enclenché au niveau des villes et de leurs territoires. C’est l’objet de nos éditions du colloque « Villes et Santé mentale », d’abord à Nantes, puis à Lausanne ; la prochaine édition se tiendra en novembre 2026 à Nice.

Aménagements extérieurs du grand Hôtel-Dieu, à Lyon. « Une des ambitions majeures du projet de reconversion des cours de l’Hôtel-Dieu est de redonner prestige et lisibilité à ces espaces en les offrant à vivre aux piétons. » crédit : AIA Territoires
La ville : vecteur, cause, levier et facteur des troubles psychiques ?
La ville, avec ses densités perçues, ses stress environnementaux (bruit, pollution, promiscuité), peut être un facteur précipitant des vulnérabilités mentales, mais elle est aussi une ressource puissante si elle est pensée comme un lieu de lien, de soutien et d’inclusion. Puisque « vivre c’est pouvoir inventer de nouvelles formes de vie » (Georges Canguilhem), alors l’aménagement urbain peut ainsi contribuer à réduire les isolements sociaux, cause majeure de mal-être, favoriser l’accès aux services essentiels (santé, culture, sport, mobilité) et renforcer le sentiment d’appartenance et de sécurité. Le rôle de la ville dans la prévention des pathologies mentales ne réside pas dans une utopie technocratique, mais dans des choix concrets d’urbanisme attentif. Aussitôt l’architecture et la psychiatrie tissent ensemble l’avenir, associent lien et lieu, et cofondent l’urbanisme relationnel.
Nous plaidons pour un urbanisme relationnel, c’est-à-dire un urbanisme qui ne se contente pas d’organiser les flux, mais qui tisse des liens humains par les formes et les ambiances qu’il propose. Cette approche implique des espaces de socialisation (places, jardins, équipements), une densification maîtrisée, équilibrant intimité et vie collective, et une attention particulière à l’accessibilité et à la lisibilité des espaces, fondamentales pour des publics fragiles. L’architecture devient alors un outil de soin silencieux, capable de soutenir la résilience, la stabilité émotionnelle, la dignité et la capacité de repli ou d’ouverture. L’urbanisme de soin ne crée pas des « lieux psychiatriques », mais des villes qui prennent soin.
Rachel Bocher et Simon Davies
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Couverture : Mathieu Persan





