Les voies internationales de la formation

Les parcours internationaux en urbanisme offrent des perspectives professionnelles diverses. Entre formation, spécialisation et adaptation, comment ces praticiens s’insèrent-ils sur ce segment de marché particulier ? Décryptage avec les données du Collectif national des jeunes urbanistes (CNJU).

Attirés par un parcours international, les étudiants en urbanisme ont la possibilité de rejoindre des parcours proposant cette spécialité dans quatre cursus français : l’École d’urbanisme de Paris (EUP), l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de Grenoble (IUGA), l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional d’Aix-Marseille (IUAR) et l’Institut d’aménagement, d’urbanisme et de géographie de Lille (IAUGL). Après un bloc commun généraliste en master 1, ils acquièrent des compétences en lien avec les enjeux stratégiques du développement urbain dans un contexte globalisé, la mise en discussion des savoirs, la mise en réseau des villes et la prise en compte des différences culturelles. Dans cette perspective, ces parcours internationaux préparent ainsi à des enjeux de coopération, d’analyse de dynamiques globalisées et d’applicabilités à des contextes différents.

Le cas d’étude comme levier de professionnalisation à l’international

Jean-Michel Roux, professeur en urbanisme à l’Institut d’aménagement, de tourisme et d’urbanisme (IATU) de l’université de Bordeaux-Montaigne, a soutenu une thèse en 2022, particulièrement éclairante 1. Il a étudié la portée des ateliers internationaux proposés à l’IUGA de Grenoble entre 1969 et 2019. Il en ressort que ces ateliers sont des lieux de partage de praticiens, où les connaissances et les expériences sont transmises grâce à des échanges sur un sujet commun. Ces transmissions enrichissent les praticiens individuellement, ainsi que la connaissance globale de la discipline d’urbanisme, par des innovations rendues possibles grâce à des regroupements inédits. Le chercheur constate, par conséquent, que la création d’espaces d’échanges entre praticiens de l’urbanisme venant de pays différents est un caractère important de la pratique internationale de l’urbanisme. L’organisation même de ces ateliers revêt une compétence en soi, qui nécessite de connaître et de comprendre les modalités d’exercice des différents pays pour offrir des sujets de discussion communs. Yasmine Ouadi, diplômée de l’IUAR et urbaniste à Madagascar, abonde en ce sens. Son témoignage illustre concrètement comment l’organisation d’ateliers contribue à la diffusion et à la sensibilisation de connaissances peu connues dans ses territoires d’intervention, tout en participant à leur adaptation à celui-ci. La pratique professionnelle à l’international aurait donc des modalités d’exercice spécifiques. Pour mieux les comprendre, l’association de professionnels (AdP) Villes en développement publie depuis 1988 un bulletin dédié aux professionnels de ce segment d’activité. L’association a publié 117 bulletins depuis 1988. L’analyse de cette ressource importante permet de visualiser l’évolution dans le temps de la spécificité du positionnement des professionnels et de leurs thématiques d’intervention dominantes. Plus précisément, alors que, dans les années 1990 à 1999, les thématiques tournent autour des infrastructures, de la planification urbaine de la santé et du foncier, la période 2000–2009 laisse place aux notions de développement durable, de mobilité, d’inclusion, de participation citoyenne et de sécurité urbaine. Enfin, les années 2010–2013 traitent de climat et de résilience, des communs, de la financiarisation, de l’informalité et de la formation des acteurs. Le partage de bonnes pratiques est une constante lisible à travers les bulletins. Toutefois, ce partage passe d’une posture rigide à une posture plus hybride dans le positionnement, avec des thématiques d’intervention plus soft. Ce glissement thématique démontre la vivacité du secteur à s’adapter aux besoins des acteurs des territoires d’intervention, et en écho à l’évolution des formations, pour que les diplômés répondent aux besoins des employeurs.

Une orientation professionnelle peu plébiscitée

On estime que, parmi les 1000 urbanistes diplômés par an, environ 80 le sont via un parcours visant l’international, soit 8 %. Les enquêtes du Collectif national des jeunes urbanistes (CNJU) nous indiquent que la part des diplômés en master Urbanisme et Aménagement travaillant dans un pays étranger est d’environ 2 % en sortie de diplôme, et monte à environ 4 % au bout de trois ans d’expérience. Cette part diminue légèrement à dix ans d’expérience, à 3,5%. Ces chiffres montrent donc qu’il existe un écart entre les 8 % d’urbanistes diplômés d’un parcours visant l’international, et la part des urbanistes travaillant effectivement dans un pays étranger. Cette comparaison doit être prise avec nuance, car il est possible de travailler à l’international depuis un poste basé en France, quand d’autres travaillent à l’international sans avoir suivi un parcours spécialisé. Pour autant, l’écart statistique conforte un ressenti de différentes promotions interrogées: étudier dans un parcours tourné vers l’international n’engage pas nécessairement à une carrière à l’étranger. Ce constat se retrouve pour d’autres parcours spécialisés, en particulier la mobilité et l’environnement. Le parcours de l’urbaniste Candice Lamour illustre bien la diversité des trajectoires : elle a commencé son parcours international après avoir obtenu le master Urbanisme et Aménagement, spécialisation « transport et mobilité » de l’EUP. Après une première expérience en bureau d’études spécialisé dans les transports à Paris, elle a réalisé un volontariat international en entreprise (VIE) en Tunisie. Ce mode d’insertion professionnelle est d’ailleurs plébiscité parmi les urbanistes souhaitant travailler à l’étranger, comme en témoignent également Emmanuel Parent (diplômé en géographie) et Yasmine Ouadi, qui ont respectivement effectué un VIE au Bénin et à Madagascar. Tous les trois ont également indiqué avoir préparé leur parcours professionnel à l’international avant leur premier poste.

 

Source : CNJU

Pour mieux comprendre la diversité des parcours, les enquêtes d’insertion et d’évolution professionnelles du CNJU suivent depuis 2010 les parcours des urbanistes diplômés. Une analyse spécifique des données relatives aux parcours internationaux fait apparaître une liste de 102 urbanistes diplômés ayant travaillé au moins une fois dans leur carrière à l’international entre 2012 et 2020 (hors stage). L’analyse de leurs réponses permet de présenter une répartition des catégories des employeurs des urbanistes à l’international (voir graphique ci-dessus). On observe ainsi à la fois des similitudes et des différences avec la répartition des employeurs au niveau national. La principale similitude porte sur la constante des collectivités territoriales et des bureaux d’études comme principaux employeurs. Toutefois, leur proportion est moindre, car ils sont habituellement à environ 30%. En revanche, la part des ONG a été multipliée par six, celle des agences d’architecture et/ou de paysage par deux et celle des administrations d’État par trois environ. Ces comparaisons permettent de mieux cerner la mobilisation des compétences des urbanistes à l’international. En effet, les catégories d’employeurs visibles dans cette répartition présentent une capacité opérationnelle à l’étranger. Les employeurs produisent de la connaissance et mettent en œuvre des projets. La faible part des collectivités territoriales, proche de celle des administrations d’État, reflète la difficile décentralisation de la compétence de l’action internationale. Il est donc intéressant de pousser l’analyse pour mieux situer leurs modalités d’exercice à partir de la mobilisation de leurs compétences.

Gautier Hunout

Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique

Couverture : Juliette Nicot

Photo : Membres du CNJU, crédit : page Facebook du Collectif National des Jeunes Urbanistes, 2022

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