« L’intervention forte de l’état sur le patrimoine est une spécificité française »

L’Association nationale des architectes des Bâtiments de France (ANABF) œuvre à la promotion de la qualité architecturale, urbaine et paysagère dans les politiques publiques. À travers ses actions, elle sensibilise décideurs, professionnels et grand public aux enjeux du patrimoine. Son président, Fabien Sénéchal, éclaire les particularités françaises en matière de protection du patrimoine bâti et naturel.

 

 

En quoi le rôle des architectes des Bâtiments de France (ABF) se distingue-t-il de leurs homologues à l’étranger ?

L’ANABF est une association qui regroupe l’essentiel des architectes des Bâtiments de France et des architectes-urbanistes de l’État en poste au ministère de la Culture. Les architectes-urbanistes de l’État sont un corps interministériel. Je fais partie de ceux qui ont eu un parcours de ce type : j’ai débuté à l’époque dans ce que nous appelions le ministère de l’Équipement, à l’aménagement, puis j’ai intégré le ministère de la Culture où je suis devenu architecte des Bâtiments de France. Cette spécificité française de nos métiers est un atout dans la manière dont l’État intervient localement sur les territoires. Les architectes des Bâtiments de France sont présents dans chaque département, a minima un, mais la ministre souhaite porter ce nombre à deux. Nous sommes en poste au sein des unités départementales de l’architecture et du patrimoine (Udap). Nous avons tous des parcours assez similaires : 75 % des architectes-urbanistes de l’État sont des fonctionnaires ayant eu une expérience professionnelle antérieure, souvent en agence d’architecture, d’urbanisme, en conseil ou au sein de collectivités, ce qui enrichit notre pratique. À l’étranger, il est courant de trouver des architectes chargés de la protection du patrimoine au sein des fonctions publiques locales, principalement territoriales, notamment dans les pays européens. En revanche, le fait d’avoir des fonctionnaires d’État présents dans tous les départements, avec des profils résolument interministériels, un recrutement national et des formations spécifiques, est une particularité française.

Quelles sont les spécificités du modèle français de protection du patrimoine ?

La question de la planification urbaine est au cœur de notre politique patrimoniale et s’est imposée très tôt dans l’histoire de l’architecture en France, même si elle n’était pas désignée ainsi à l’époque. Dès le début du XXe siècle, la France s’est dotée d’outils pour protéger les espaces naturels, puis d’instruments d’urbanisme et de plans de planification urbaine. Rapidement, il est apparu nécessaire d’avoir des dispositifs spécifiques pour planifier et réguler les espaces que l’on qualifiera ensuite de «patrimoniaux». La définition même de ce qui constitue le patrimoine a soulevé de nombreux questionnements. Certains centres-villes ont été inscrits au titre des espaces naturels (sites inscrits au titre de la loi de 1930, par exemple), simplement parce que les outils juridiques dédiés n’existaient pas à l’époque. C’est dans ce contexte qu’ont été instaurés, en 1943, les fameux périmètres de 500 mètres autour des monuments historiques, pour lesquels notre action est la plus connue. Notre travail ne se limite pas à cela, mais ce dispositif découle directement de la nécessité d’apporter un regard extérieur et indépendant sur la préservation du patrimoine. En France, cette intervention forte de l’État sur la question patrimoniale est une spécificité, traduisant l’importance accordée à la protection et à la valorisation du patrimoine à l’échelle nationale.

Cela est-il lié au fait d’avoir intégré précocement des outils de planification en urbanisme ?

Rappelons que nous ne sommes pas précurseurs en matière de protection du patrimoine. Les pays anglo-saxons, notamment l’Angleterre et les États-Unis, ont mis en place très tôt des outils de planification et des dispositifs de préservation du patrimoine. Ce qui distingue la France, c’est la persistance de la force du regard de l’État, alors que les compétences d’aménagement et d’urbanisme sont aujourd’hui, et depuis les lois de décentralisation de la fin du XXe siècle, largement décentralisées au niveau des collectivités locales. Le maintien de la qualité de l’architecture (et donc du patrimoine) et des paysages est ainsi une responsabilité partagée. Cette spécificité n’est pas systématiquement retrouvée ailleurs : en Allemagne ou en Espagne, par exemple, la gestion du patrimoine est largement décentralisée et confiée aux Länder ou aux communautés autonomes.

Notre modèle français suscite l’intérêt à l’international : de nombreux pays s’interrogent sur nos méthodes et comparent l’état de conservation de leurs paysages urbains et naturels à celui de la France. Il est reconnu que la qualité des espaces patrimoniaux en France est satisfaisante, même si, du point de vue d’un architecte des Bâtiments de France, ce n’est jamais assez! Néanmoins, la France peut se prévaloir d’un niveau de préservation des monuments et de qualité des espaces publics naturels relativement élevé par rapport à d’autres pays, ce qui contribue d’ailleurs largement à son maintien comme l’une des principales destinations touristiques et culturelles à l’échelle mondiale.

La réputation de friction entre élus et ABF est-elle une image d’Épinal ?

Il est vrai que le premier réflexe, tant chez les élus que chez les porteurs de projet, est de pointer du doigt l’ABF comme le responsable d’un refus ou d’une contrainte, nourrissant ainsi le mythe de l’ABF qui dit toujours non. Cette personnalisation de l’État, à travers la figure de l’ABF, cristallise parfois les mécontentements.

Pourtant, cette caricature ne résiste pas à l’analyse. Dans l’immense majorité, les porteurs de projet sont plutôt satisfaits de notre travail : rares sont ceux qui estiment que le projet a perdu en qualité après avoir été retravaillé avec l’ABF. Nous avons une mission d’intérêt général très particulière, qui est celle de porter la qualité architecturale et paysagère et d’éviter que ces exigences ne se diluent face à des contraintes budgétaires ou techniques. Si nous n’intervenons pas dans le projet suffisamment en amont, cette question peut être mise de côté. Nous sommes les garants de la qualité. Il me semble que c’est l’une des spécificités de l’urbanisme à la française, tel que nous sommes en train d’essayer de le construire ou de le reconstruire, afin que l’ABF n’apparaisse pas en bout de chaîne, mais soit réellement partie prenante.

Propos recueillis par Maider Darricau

Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique

Couverture : Juliette Nicot / Photo : Frédéric Goarin

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