Loi littoral : sur la plage aménagée
En sortant les côtes françaises d’une forme de clandestinité juridique, la « loi littoral » de 1986 a créé un précédent inédit en termes d’aménagement et de gouvernance. A‑t-elle fait école ailleurs ?
Cela peut sembler difficile à croire aujourd’hui, mais le littoral n’a pas toujours été le littoral. Il fut un temps où cette interface entre la terre et la mer n’était pas matérialisée comme telle dans les consciences. Ce n’est qu’à la deuxième moitié du XXe siècle, à la faveur des politiques d’aménagement portées par l’État et, bien sûr, de l’essor du tourisme, que sa singularité est apparue. La loi du 3 janvier 1986, dite « loi littoral », entend corriger cet angle mort. Assez unique en son genre, elle anticipe d’importants textes ayant trait au développement durable et à la protection des littoraux à l’échelle européenne et méditerranéenne. Pour autant, peut-on dire que la loi littoral a fait école à l’étranger ?
« Merlin-cages à lapins »
Tout démarre avec le tourisme de masse. Alors que la durée des congés payés passe progressivement de deux à cinq semaines après la Seconde Guerre mondiale, l’artificialisation des côtes prend de l’ampleur. Le plus gros promoteur immobilier de loisirs de l’époque, le groupe Merlin, incarne le « promoteur-profiteur » qui ravage les paysages pour produire des résidences-vacances bon marché. Dans l’un de ses sketchs datant de 1979 (intitulé Le Syndicat : le délégué), Coluche ironisait ainsi : « La formule de Merlin, c’est : pendant le crédit, tu répares ce qui s’écroule, et au bout de quinze ans, les ruines sont à toi. » Les décennies 1970–1980 ont aussi pour contexte la prise de conscience des enjeux environnementaux. La commission des Nations unies sur l’environnement et le développement publie le rapport Brundtland en 1987. Intitulé Our Common Future (Notre avenir à tous), le document pose les bases de la notion de développement durable, qui a pour rôle d’articuler la protection environnementale et le développement économique. C’est justement l’équation à résoudre dans les régions côtières. Le gouvernement français n’est pas indifférent à ces enjeux. Il amorce une politique volontariste d’aménagement du territoire dès les années 1960. Deux missions interministérielles travaillent à la planification du littoral, respectivement dans le Languedoc-Roussillon et en Aquitaine. En parallèle, la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) commence une réflexion approfondie sur les perspectives d’aménagement à long terme du littoral. Rendu en 1973, le rapport Piquard saisit parfaitement la tension entre les enjeux de protection et de développement. Il propose une voie d’équilibre entre les deux, qui structure durablement le système de protection du littoral à la française.
Le cap Gris-Nez fait partie des sites littoraux qui ont été acquis par le Conservatoire.
Effet domino
La loi littoral française n’est pas la première loi littoral d’Europe. Dès les années 1970, des États ont utilisé la loi ou le décret pour instaurer des règles d’urbanisme spécifiques. Les pays scandinaves ouvrent le bal, viennent ensuite le Portugal en 1982, puis l’Italie en 1985 avec la loi Galasso sur la protection paysagère. C’est au tour de la France en 1986, puis de l’Espagne qui vote la Ley de Costas (« loi des côtes »), en 1988. Avec plus ou moins de force, ces textes ont pour objectif de promouvoir une gestion intégrée des côtes et de ménager les espaces naturels. La loi littoral française poursuit cette ambition tout en parvenant à renouveler la perspective. En donnant une définition du littoral qui n’est plus cantonnée au seul domaine public maritime, mais inclut aussi l’arrière-pays, elle braque le projecteur sur un espace géographique. C’est l’interaction terre-mer, ses dynamiques et ses spécificités, qui est identifiée. La loi reconnaît ainsi les fortes pressions humaines et naturelles qui s’y exercent et la nécessité de les réguler. Il faut souligner l’hétérogénéité des situations européennes. Le contexte institutionnel, culturel, électoral et, bien sûr, géographique de chaque pays rend les comparaisons difficiles. En Italie, la loi Galasso n’a pas réussi à surmonter la fragmentation des compétences entre l’État, les régions et les municipalités. Le manque d’ambition des gouvernements successifs – qui ont « amnistié » les constructions illégales à plusieurs reprises – n’a pas permis d’endiguer l’artificialisation du littoral. En revanche, les Pays-Bas excellent depuis des siècles en gestion du littoral. Un tiers de la superficie du pays est sous le niveau de la mer et donc exposé aux inondations. Le fonctionnement est très décentralisé et empirique, et laisse aussi une grande responsabilité aux associations de protection de la nature.
David Attié
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Couverture : Juliette Nicot / Photo : Fabien Coisy/Conservatoire du littoral