L’urbanisme à la française vu d’ailleurs

Ils sont nord ou sud-américains, travaillent en Chine, au Bangladesh, ou bien ont collaboré avec la Géorgie, la Tunisie ou la Jordanie : nous avons demandé à des urbanistes et architectes étrangers et français de nous dire ce qui, selon eux, définissait « l’urbanisme à la française ».

Demander à des urbanistes de définir ce qui caractérise « l’urbanisme à la française », c’est avant tout constater une immense convergence des analyses entre les uns et les autres, quel que soit leur continent. Le marqueur le plus fort est sans conteste notre capacité à planifier, à pouvoir nous appuyer sur l’État et des pouvoirs publics présents, un cadre fort pour développer un urbanisme qui ne se laisse pas dévorer par les intérêts privés. Du moins, pas dans les mesures que semblent décrire les professionnels exerçant sous d’autres latitudes.

« J’ai été surpris par la réglementation stricte des hauteurs de bâtiments et des styles architecturaux dans de nombreuses villes françaises. Mais j’en suis venu à apprécier la manière dont ces politiques protègent le caractère d’une ville et assurent une cohérence à long terme dans son développement urbain. » Le contraste est fort, vu du Bangladesh, où Nazmul Ahsan Tonoy participe au développement de projets d’infrastructures urbaines à grande échelle, en tant que responsable de la planification au sein de la China Civil Engineering Construction Corporation. Chez lui, la croissance urbaine est peu encadrée. Et c’est en passant d’un continent à l’autre pour cet article que l’on perçoit toutes les variations autour du thème de l’encadrement de l’aménagement urbain.

« L’urbanisme français repose sur un système juridique napoléonien, très différent de celui des États-Unis », souligne d’emblée Conrad Kickert, professeur associé en urbanisme à l’université de Buffalo, dans l’État de New York. « Pour moi, le système français reste encore assez centralisé. Même les Pays-Bas ont en grande partie abandonné cela », analyse celui qui est d’origine néerlandaise et a bien connu les rouages de son pays avant d’immigrer. « Les Néerlandais ne font plus vraiment de planification nationale, ils ont en grande partie délaissé cette approche au profit d’une logique plus néolibérale, décentralisée, axée sur le marché. » Ce constat, selon lui, est valable autant pour son pays d’origine que pour son pays d’accueil. Et on le retrouve chez beaucoup de nos interlocuteurs : Éric Le Khanh, architecte-urbaniste en Chine depuis 2003, relève aussi cette différence. « Ici, c’est le client final, institutionnel ou privé, qui a le dernier mot. »

 

À Tianducheng, dans la banlieue de Hangzhou, en Chine, l ’architecture a été copiée pour reproduire la capitale française, avec une tour Eiffel à un tiers de la hauteur de son aînée parisienne. Photo : Dave Colman/Shutterstock

 

Même constat outre-Atlantique: à Buenos Aires, Andrés Borthagaray, architecte urbaniste passé par le cycle international de l’ENA en France, fait aussi cette distinction entre son pays, l’Argentine, et la France. « Le poids de l’État et des collectivités y est moindre qu’en France. La puissance de l’intervention publique est vraiment un marqueur de votre approche de l’urbanisme. Les maires, les préfets, des sociétés comme celle du Grand Paris, par exemple, se coordonnent pour faire aboutir un projet, lui offrent un cadre. » C’est d’ailleurs ce projet, le Grand Paris Express, qui lui semble emblématique d’un urbanisme à la française : « J’ai étudié toutes les interventions autour de ce projet très ambitieux. Comme il est encore en cours de construction, il n’est pas possible de juger le résultat. Mais Paris va en ressortir transformé, du fait de ces nouvelles infrastructures de transport en commun. C’est assez propre de l’urbanisme français: une forte impulsion de l’État, des consultations incluses dans une démarche assez complexe embarquant des compétences locales et l’État. » Conrad Kickert note cependant une évolution ces dernières années et estime que, même si la France conserve une part d’approche plus centralisée que dans les autres pays, elle semble s’être un peu plus orientée vers le marché.

Le « penser global » français

Cette impulsion et ce cadre fournis par les pouvoirs publics permettraient, selon eux, d’offrir plus de cohérence à une échelle territoriale. Et cette capacité à « penser global » tiendrait aussi à nos agences d’urbanisme, estiment-ils. Pour Éric Le Khanh, « En France, un projet urbain bénéficie d’expertises multisectorielles qui apportent un lot de données précises, utiles à l’élaboration du projet. Alors qu’en Chine, l’État contrôle toutes les données statistiques et nous n’y avons pas toujours accès, comme les données économiques ou la cartographie des sols, par exemple. »

Cette expertise multisectorielle, apportée par des organismes tels que les DREAL (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) et les Dreets (directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) ou les CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement), ainsi que L’Institut Paris Region ou l’Apur, entre autres, offre les outils et les analyses nécessaires « pour contrer le marketing urbain et créer des dynamiques urbaines complémentaires plutôt que concurrentes », estime Éric Le Khanh. L’urbaniste, qui travaille actuellement sur la rénovation d’une quinzaine de villages périurbains à Pékin situés dans un périmètre de 10 km², fait le constat de ce manque en Chine. Leur rénovation, confiée à cinq agences dont la sienne, n’est pas coordonnée pour offrir une complémentarité et, donc, une efficacité en termes de service public, ou encore de préservation du patrimoine.

Marjolaine Koch

Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique

Couverture : Juliette Nicot

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