Promesses urbaines, bulletins d’hier ?

Les thématiques liées à l’urbanisme divisent de plus en plus les électeurs. Face à cette défiance, les élus ont du mal à savoir sur quel pied danser pour faire la différence dans les urnes. Un constat qui s’explique à cause de multiples facteurs.

Il y a des projets urbains immanquablement liés au nom du maire qui les a portés. Dans les années 2000, Alain Juppé portera la rénovation du centre-ville de Bordeaux, tandis que Gérard Collomb transformera le quartier de Confluence à Lyon. Les mandats de ces maires bâtisseurs se sont en partie construits sur ces grands projets urbains et architecturaux. Pour Lily Munson, ancienne conseillère politique qui a exercé à la mairie de Paris (2018−2023) sous les mandats des ex-adjoints à la maire Jean-Louis Missika (2014−2020) et Emmanuel Grégoire (2014−2024), l’image de l’élu bâtisseur a progressivement changé, jusqu’à devenir une épine dans le pied pour celui qui se présente aux élections. « À partir de 2014, nous avons vu apparaître un réel décrochage avec les habitudes des électeurs. Les campagnes électorales ont commencé à se jouer sur des sujets urbains avec des candidats qui vont venir “challenger” l’élu sur ce sujet pour gagner des voix. L’urbanisme est devenu un point central de ce qui fait une élection », analyse l’ancienne conseillère.

À Lyon, les écologistes (EELV (1)) commencent à partir de 2014 à se distancier du projet Confluence, mettant en garde contre une logique de « ville-vitrine », surdensifiée et orientée vers l’immobilier de prestige, alors qu’à l’initial ce projet urbain se voulait ambitieux sur le plan des normes environnementales. Les critiques s’exacerberont pendant l’année des élections municipales en 2020. L’opposant et successeur à Gérard Collomb, Grégory Doucet (EELV), se positionnera lui-même contre « une métropole lyonnaise de l’hyper-compétition », qui, selon lui, ne vise qu’à attirer des capitaux ou une élite. À Paris, la maire Anne Hidalgo a également fait les frais de ses choix de piétonnisation des voies sur berges au cours des municipales de 2020, même si elle a réussi à conserver son mandat électoral. Rachida Dati, candidate LR arrivée en deuxième position, s’est ainsi opposée à la maire lors des municipales en dénonçant sa politique « anti-voiture ». Sa rivale LREM, Agnès Buzyn, a également critiqué la maire de Paris, dénonçant la « brutalité » d’Anne Hidalgo sur les transformations urbaines.

Du permis de construire… à la patate chaude

Autant d’exemples qui montrent un basculement d’ère. Lily Munson en est convaincue : l’urbanisme est devenu au fil de ces dernières années un sujet éminemment politique. « Le permis de construire devient une patate chaude qui met en danger l’élu », résume l’ancienne conseillère. Un de ses confrères, toujours en poste, va même encore plus loin dans ce constat. « L’urbanisme n’est pas seulement sujet politique, c’est devenu un choix, indissociable de l’identité politique. Il y a dix ou quinze ans, l’urbanisme était encore une valeur commune partagée. À présent, cela n’est pas toujours bien perçu d’être un maire bâtisseur. Construire peut aussi être associé à un caprice. Dans la tête d’un élu, ce dernier ne peut plus être celui qui va tout changer. En termes d’électorat aussi, les gens ont envie d’être plus associés aux projets urbains », décrit le technicien.

Preuve que le refus d’acte de construire est devenu un argument électoral : la Ville de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, menait récemment une campagne publicitaire dans ses rues en exposant une série d’affiches où l’équipe municipale se félicite d’avoir réduit de 66 % les accords de permis en logement collectif sur son périmètre. Un exemple qui confirme que la construction ne fait plus vendre sur le plan électoral – voire plutôt le contraire.

Le village de Brangues (Isère) fait partie de la communauté de communes des Balcons du Dauphiné (Isère), qui est composée de 47 communes et représente près de 300 élus, crédit : CC Balcons du Dauphiné

Plusieurs facteurs expliquent ce basculement. « La vulgarisation autour des projets d’urbanisme s’est améliorée, ce qui est plutôt une bonne chose. Mais les raisons de la contestation se sont aussi multipliées : là où auparavant seuls les conservateurs s’élevaient contre les permis de construire, les écologistes portent désormais des revendications similaires. De leur côté, urbanistes et techniciens, dont le travail dépend pourtant de ces actes de construire, n’ont pas réussi à structurer leur discours pour le rendre intelligible », analyse Lily Munson. D’autres facteurs ont aussi joué sur la recomposition du bloc électoral, en particulier dans les grandes métropoles. Beaucoup d’électeurs ne travaillent pas sur le périmètre où ils votent. Une nouvelle donne qui contribue à accentuer le phénomène Not in My Backyard (ou Nimby, « Pas dans mon jardin ») dans les grandes villes et à porter les voix des propriétaires de terrains et biens immobiliers au détriment des autres usagers. S’ajoutent à ce phénomène d’autres sujets de crispations sur le plan électoral, comme la sécurité et les questions identitaires. « J’ai le souvenir d’un mot de Zemmour en 2022, qui disait que la loi SRU [Solidarité et renouvellement urbains, ndlr], c’était permettre le grand remplacement dans les territoires français. Il a dit tout haut ce que d’autres disent entre deux portes », déplore une source.

Emmanuelle Favre, maire de la petite ville de Saint-Loubès (Gironde), a fait amèrement l’expérience de cette défiance pour les projets urbains au cours de son mandat. « Mon sentiment, c’est que les actions collectives ont moins de portée qu’avant et que nous vivons dans une époque d’essor des individualismes. Les politiques urbaines de ces dernières décennies, qui ont favorisé l’étalement urbain, ont renforcé ce phénomène. En tant qu’élu, on est en permanence confronté au “je” et plus au “nous” », estime l’élue, qui a l’intention de ne pas se représenter en 2026. La recomposition du tissu social électoral n’est pas le seul facteur responsable d’une situation qui limite l’élu local dans ses prises d’initiatives d’aménagement urbain. Les politiques territoriales menées ces dernières années ont largement contribué à diluer la responsabilité de ce dernier dans ce domaine.

Emmanuelle Picaud

Lire la suite de cet article dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique

Couverture : Lila Castillo 

Note : 

1/ Europe Écologie Les Verts, renommé Les Écologistes en 2023.

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