Regard sur les évolutions des pratiques, métiers et valeurs de l’aménagement

Jean Frébault, né en 1941, a dirigé les agences d’urbanisme de Toulouse et de Lyon, avant d’être directeur de l’architecture et de l’urbanisme au ministère de l’Équipement (1989−1994), puis d’exercer le métier d’aménageur. Il a été l’un des fondateurs du Club Ville-Aménagement en 1993, avec François Ascher, club dans lequel il est encore engagé.

Photo : Jean Frébault, crédit : Danièle Frébault

De quels constats ce travail « historique » découle-t-il ?

Ce regard s’est construit à l’occasion des travaux collectifs, échanges et débats professionnels au sein du Club Ville-Aménagement. Lorsque l’on vit des transformations aussi fortes que celles de la période actuelle, il est intéressant, pour en saisir le sens, de comprendre dans quelle trajectoire de temps long elles s’inscrivent. L’exercice a commencé par une invitation à une conférence devant des étudiants d’une école d’architecture, aux côtés d’Éric Bazard, sur l’évolution des pratiques de l’aménagement. J’ai été nourri, bien sûr, par mon parcours personnel qui a commencé en 1966, au moment de la création du ministère de l’Équipement par Edgar Pisani, et a traversé le monde des agences d’urbanisme, des services de l’État, avant que j’exerce le métier d’aménageur. Mais aussi par divers témoignages d’acteurs, publications, travaux de chercheurs… Et je m’efforce de rester attentif aux changements actuels.

 

Vous définissez trois séquences temporelles au cours des six dernières décennies ; quelles sont-elles ?

Il me semble, sans prétention scientifique, qu’on peut, en effet, repérer trois séquences porteuses de ruptures majeures dans l’histoire de l’aménagement au cours de ces six décennies. La première est la période fondatrice avec le vote de la loi foncière de 1967, lors des Trente Glorieuses finissantes. C’est à ce moment-là que sont mis en place les grands outils de planification urbaine française, comme les schémas directeurs devenus SCoT [schémas de cohérence territoriale, ndlr], les plans d’occupation des sols devenus PLU [plans locaux d’urbanisme], ceux de l’urbanisme opérationnel avec la création des ZAC [zones d’aménagement concerté], et d’outils fonciers efficaces. Même si ces outils ont évolué, ils gardent l’ADN de cette époque, marquée par une forte croissance. Mais cette séquence de prospérité et de croyance au progrès qu’étaient les Trente Glorieuses a pris fin avec le choc pétrolier des années 1970, qui nous a fait basculer vers un autre monde, plus incertain.

La deuxième période, que j’appelle le basculement, est étroitement liée aux suites de la décentralisation des années 1980. Les élus locaux ont pris une place centrale, avec l’émergence de personnalités fortes à la tête de grandes villes, porteuses d’une vision de l’aménagement, d’un « urbanisme de projet ». Les enjeux sont devenus plus qualitatifs, les territoires sont entrés en concurrence, et de nouveaux questionnements sont apparus progressivement, comme le concept de développement durable et la naissance de la politique de la ville. Enfin, la troisième période est celle que nous vivons aujourd’hui, qui a démarré il y a une dizaine d’années environ. Tous nos repères sont bousculés, de nouvelles directions émergent. Il y a beaucoup d’incertitudes, mais aussi une grande créativité. Elle donne l’image d’une effervescence créative, à la fois déstabilisante et passionnante.

LES ANNÉES 1960 ET 1970, PÉRIODE FONDATRICE

Avec le recul, quels enseignements tirez-vous de cette période fondatrice ?

Ce qui m’a marqué, dans cette période « gaullienne », au-delà des lois et des outils, c’est une forme d’élan collectif autour de l’aménagement du territoire (la Datar de Jérôme Monod), la planification urbaine, les villes nouvelles, les métropoles d’équilibre, les Oream [organismes régionaux d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine] et premières agences d’urbanisme… On disposait alors d’outils puissants, rassurants pour l’action, avec une vraie rationalité juridique et une mécanique bien huilée, très verticale, au service d’un urbanisme productiviste, comme l’appellent aujourd’hui certains auteurs. L’idée était de produire massivement, pour répondre à la crise du logement, à une démographie dynamique et à l’apport de l’immigration. Une partie importante des extensions urbaines a été inspirée par des utopies comme la charte d’Athènes et le mouvement moderne avec le modèle des grands ensembles, suivi par d’autres innovations architecturales et le développement des lotissements. C’est aussi un début de sensibilisation à la protection du patrimoine et des paysages, avec la loi Malraux (1962), la création du Conservatoire du littoral (1975).

Propos recueillis par Maider Darricau

Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique

Couverture : Juliette Nicot

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