Rungis, un modèle qui fait école
Plus grand marché de produits frais au monde, Rungis est une référence logistique, organisationnelle et urbanistique pour de nombreuses villes à l’étranger, qui souhaitent reproduire aujourd’hui son modèle. Pour cela, la société gestionnaire du site, la Semmaris, a développé une offre de conseil à l’international qui a déjà séduit le Bénin, l’Ouzbékistan, la Chine et les Émirats arabes unis.
Par un développement constant depuis sa création en 1969, le marché international de Rungis est devenu le premier marché de produits frais au monde. Dans ce site de tous les superlatifs, les statistiques donnent le tournis, à commencer par sa superficie : 234 hectares, « soit plus que la principauté de Monaco », comme se plaît à le souligner Stéphane Layani, président de la Semmaris, la société d’économie mixte qui gère le site. Rungis, c’est aussi 1200 entreprises implantées, 13000 salariés, 25000 acheteurs réguliers. Chaque année, 3,5 millions de tonnes de produits transitent ici, pour un chiffre d’affaires de 12 milliards d’euros. Un tel gigantisme implique une somme de défis : logistique, alimentaire, sécuritaire, organisationnel, énergétique, écologique, politique, économique, urbanistique… « C’est une ville avec toutes les fonctions, plus quelques autres encore », affirme Stéphane Layani, qui ajoute une dernière donnée, très symbolique, à ce tableau pharaonique : « 6,3 millions de personnes passent tous les ans par le marché, c’est autant que les visiteurs de la tour Eiffel ! » Rungis, une tour Eiffel du commerce ? Absolument.
Photo : Le marché de Cotonou, au Bénin, dans l’agglomération du Grand Nokoué, crédit : Semmaris
Ce site, implanté à quelques encablures de Paris pour desservir chaque année 18 millions de consommateurs finaux, éveille aujourd’hui l’intérêt de plusieurs pays qui cherchent à répliquer ce modèle logistique hors norme. « Des délégations internationales viennent régulièrement visiter le marché, des chefs d’État veulent créer la même chose chez eux », confirme ainsi Stéphane Layani. Pour cela, Rungis met à leur disposition ses savoir-faire afin de les aider à implanter un marché de produit frais selon les spécificités du terrain, sous la forme d’une assistance à maîtrise d’ouvrage, via un contrat d’assistance technique (sans investir de fonds) et, éventuellement, de licence de marque. Mais il faut remplir plusieurs conditions afin de pouvoir gérer l’arrivée de tels flux de marchandises, la logistique interne au marché et celle du dernier kilomètre. En premier lieu, une situation géographique favorable et une connexion à des axes de transports majeurs sont indispensables. Les initiateurs de Rungis, Charles de Gaulle, son Premier ministre, Michel Debré, et Paul Delouvrier, vice-président de la direction à l’Aménagement du territoire, avaient porté leur choix sur un site idéalement placé, à la conjonction de l’autoroute A6, l’A86, la RN 7 et l’aéroport d’Orly. Depuis 2024, même la ligne 14 du métro, avec la station Chevilly-Larue – Marché international, dessert le site. Avec 30 000 camions qui transitent chaque jour – ou plutôt chaque nuit –, le stationnement est aussi une des clés de la réussite; c’est pourquoi Rungis a beaucoup développé les parkings silos ces dix dernières années. Mais au-delà des facteurs d’accessibilité, le nerf de la guerre reste l’organisation : « Nous sommes des spécialistes en la matière, revendique sans réserve Stéphane Layani. On organise les flux, les pavillons [qui accueillent les marchandises par catégorie, ndlr], les ventes, les conditions sanitaires – dont la réfrigération –, la gestion de 40 000 tonnes de déchets par an… C’est à ces conditions qu’on peut gérer le plus grand marché du monde. »
Chaque marché est unique
Pour répliquer le « système Rungis » à l’étranger, les trois conditions impératives exigées par la Semmaris sont : un terrain avec les autorisations d’implantation afférentes (délivrées par l’État ou la région) ; un organisme financeur ; et une société de gestion désignée. Son équipe peut alors mener une étude de faisabilité, qui est la première phase de prestation des experts français. Stéphane Layani se garde d’ailleurs de proposer des « éléphants blancs », citant le marché de Diamniadio, au Sénégal, à 35 kilomètres de Dakar, conçus par Miller, groupe turc concurrent, « dans une ville nouvelle habitée par personne». Les prévisions font état d’un objectif de 350 000 habitants en 2035, or, selon la Semmaris, la masse critique de population doit être, au minimum, de 2 à 3 millions d’habitants pour justifier l’implantation d’un méga marché. Si l’étude de faisabilité est positive, la phase d’assistance à la construction et la mise en opération de la société de gestion peuvent donc être lancées, comme récemment au Bénin, dans l’agglomération du Grand Nokoué, une aire urbaine de 2,5 millions d’habitants qui rassemble la capitale économique, Cotonou, la capitale administrative, Porto-Novo, et deux communes résidentielles, Abomey-Calavi et Sèmè-Podji. « C’est un projet très abouti, avec un marché de gros et 14 marchés de détail actuellement ouverts », précise Stéphane Layani. Il sera piloté par l’Agence nationale de gestion des marchés (Anagem), entité pour laquelle la Semmaris a participé au recrutement de sa directrice générale. Le projet doit être livré en fin d’année 2025.
Rodolphe Casso
Lire la suite de cet article dans le numéro 444 « Un urbanisme français ? » en version papier ou en version numérique
Couverture : Juliette Nicot