« Des lieux vivants pour une ville ouverte »

Cécile Diguet, urbaniste et cofondatrice du studio Dégel, plaide pour des lieux de rencontres et d’échanges dans la ville, où un débat respectueux et constructif serait possible. Des espaces qui construisent les esprits critiques et nous donnent une chance de dépasser nos stéréotypes et nos clichés.

Pour débattre avec respect, pour se confronter aux autres, à l’altérité, pour sortir des bulles numériques, il faut des lieux accueillants, dotés d’une forme de domesticité (« comme à la maison »), avec une âme et un caractère autorisant. Des lieux avec de la poésie, de l’inutilité, de l’improductivité.

Le conflit n’est pas une agression est le titre d’un ouvrage de la philosophe et penseuse étasunienne Sarah Schulman (1) : il faut s’opposer sans se détruire, discuter sans se faire cyberharceler, se rencontrer et se voir pour développer son empathie, disposition indispensable à l’écoute, à la recherche de paix, de consensus et de solutions, et assumer le face-à-face du débat.

Beaucoup de lieux sont aussi devenus, parfois malgré eux, des espaces qui compensent la faiblesse des communes.

Les rencontres permettent souvent de réaliser à quel point nous avons besoin de subtilités pour comprendre des situations complexes, à travers des récits et des expériences personnelles : que ce soit les guerres au Moyen-Orient, le mal-être des paysans et des paysannes en France, ou encore l’importance de la santé reproductive. Tous sujets pour lesquels nous pouvons développer une compréhension pratique et théorique à travers des récits incarnés. Les lieux ouverts constituent des espaces de brassage, et sont des espaces qui accueillent : « un espace public avec un toit »,
comme le dit l’architecte Sophie Ricard. Ces espaces construisent les esprits critiques dont nous avons besoin et qu’un mouvement croissant d’anti-intellectuels veut faire taire. Comme l’écrit Éric Fassin : « L’anti-intellectualisme n’oppose pas deux catégories sociales, intellectuelles ou pas, dotées en capital culturel ou non. Il ne vise pas tout un groupe, quelle qu’en soit la définition. Sa cible véritable, c’est aujourd’hui la pensée critique (2). »

Pourtant, les lieux ouverts sont souvent considérés comme des bonus, des espaces dispensables que les collectivités locales et l’État soutiennent parfois du bout des doigts, voire pas du tout, estimant que ces lieux doivent absolument trouver un modèle économique hors contribution publique. Pourtant, le modèle de la subvention publique est un modèle économique parmi d’autres. L’équilibre entre fonds publics et privés est d’ailleurs souvent souhaité par les porteurs de lieux eux-mêmes. Les subventions publiques ne sont pas une faveur des élu(e)s, mais un investissement des deniers des personnes qui paient des impôts, qu’elles aient d’ailleurs le droit de vote ou pas, ou de façon limitée.

Beaucoup de lieux sont aussi devenus, parfois malgré eux, des espaces qui compensent la faiblesse des communes. Si l’on pense au Sample, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), il joue un rôle majeur dans l’accueil des associations de quartiers depuis la fermeture de la Maison des associations. Tout comme les travailleur(euse)s de première ligne, même pressurisé(e)s, mènent à bien leurs missions par humanité, en tout premier lieu dans les hôpitaux publics, les lieux, tiers-lieux, maisons de quartiers associatives, portées par des collectifs divers, suppléent aux manques de l’État et des collectivités locales sans en avoir les budgets.

Cécile Diguet

Lire la suite de cette tribune dans le numéro 445 « Élu(e)s locaux » en version papier ou en version numérique

Crédit photo : D.R., couverture : Lila Castillo

Notes : 

1/ Sarah Schulman, Le conflit n’est pas une agression. Rhétorique de la souffrance, responsabilité collective et devoir de réparation, Éditions B42, 2021.

2/ Éric Fassin, Misère de l’anti-intellectualisme. Du procès en wokisme au chantage à l’antisémitisme, Textuel, 2024.

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