Écouter la France des ruralités
Écouter la France des ruralités
Le renouvellement des conseils municipaux sera le lieu de beaucoup de défis : démocratique, de cohésion sociale et d’aménagement du territoire. Ces mandats seront plus marqués encore par la nécessité de coconstruire avec un État, qui, s’il mobilise forces et moyens en direction des territoires, devra revoir son approche au risque d’être responsable d’un affaiblissement de l’action publique locale. Pour les maires, ce sera, comme avec le Covid et les « gilets jaunes », l’occasion de démontrer la pertinence du modèle communal comme socle de l’action publique nationale. Une révolution douce aura lieu avec de nouveaux modes de scrutin pour 25 003 communes : 3, avec PLM [Paris, Lyon, Marseille, ndlr], et pour 25 000 rurales, un scrutin de listes et paritaire pour inventer de nouvelles formes d’organisations et d’implications citoyennes au cœur des anticipations nécessaires. C’est en proximité que nous mettrons les citoyens au cœur des solutions les plus adaptées aux défis.
L’enjeu démocratique, donc, en premier. Le mandat s’achève avec la recrudescence des démissions. Si de multiples facteurs s’entremêlent spécifiquement dans chaque cas, retenons que cela a été plus dur. Mais nous connaissons les principales causes ; ce qui nous fait gagner du temps : la stratégie de l’État de réduire la voilure et son corollaire, la complexité administrative à laquelle s’ajoute la difficile conciliation des temps de vie de l’engagé. La loi sur le statut de l’élu marque des avancées, mais son adoption tardive permettra-t-elle le déclenchement de nouveaux engagements ?
La cohésion sociale est parmi les enjeux les plus complexes à aborder. Notre force : le maillage territorial inédit en Europe qui garantit la considération de chacun et la proximité du premier mètre de l’action publique. Reste une interrogation : l’État et le Parlement mettront-ils un terme au détricotage des appuis pour garantir les moyens de cette première ligne ? C’est ce qui transparaît de notre réseau d’élus, étonnés de la méticulosité à rendre leur vie plus compliquée au regard de leur rôle grandissant dans la cohésion du pays. Aucun ne demande moins d’État, mais bien de le voir entendre les attentes et propositions des élus dans leur capacité à dessiner un chemin propice au vivre ensemble. Le succès du programme Villages d’avenir montre qu’il y a une voie de coopération fertile si les moyens suivent. Et il y a là comme un paradoxe que ce mandat devra régler, au risque de voir réduite la force du rôle des maires, dans cette œuvre permanente et collective.
Il y a une réponse qui n’a pas encore été tentée : celle d’un rééquilibrage dans l’aménagement du territoire. Les forces en présence sont solidement ancrées sur un dogme de la performance économique basé sur le développement prioritaire des métropoles et, dans une moindre mesure – et on ne parle pas ici d’abandon –, des territoires ruraux, composant à eux seuls pourtant 88 % de notre pays. Ce retournement devra avoir lieu dans un combat commun et collectif, engageant « chaque cellule » de la République à prendre sa part, pour elle-même, mais aussi dans une approche solidaire et territoriale, comme en témoigne l’accentuation d’actions de coopération entre villes et campagnes ou encore la volonté de faire des communes l’espace politique de la transition écologique. Je n’oublie pas l’enjeu agricole et le besoin de pouvoir être acteurs de la préservation des ressources vitales (eau, sol…), d’expliquer aux administrés de transformer leurs habitudes, d’atténuer les conséquences des crises à venir.
Cela suppose des ruptures fortes qu’incarnent à leurs dépens ZAN [« zéro artificialisation nette »] et ZFE [zones à faibles émissions]. Dès qu’il y a un Z, c’est suspect. Tout ceci trahit une fainéantise collective qui feint de ne pas voir qu’au-delà de l’indispensable lutte pour la santé publique, la ZFE était la source d’une cristallisation supplémentaire de la hiérarchie entre les territoires. Ce dont ni élus ni habitants ne veulent. Le ZAN souffre de la même carence avec une règle arithmétique qui s’applique sans que le champ politique n’en profite pour avoir un débat sur le modèle de répartition des populations – donc de revoir la politique du logement – et des richesses, de l’occupation de l’espace, de l’économie et de la concentration des pouvoirs, ou encore les inégalités inacceptables en matière d’accès aux soins et aux solutions de déplacements, deux sujets clés en ruralité.
Chacun dispose des clés pour éviter de voir une fois de plus des élus ruraux confrontés au maintien d’une configuration qui défavorise l’aménagement équilibré du territoire, même si chacun s’émerveillera de l’imagination et de l’innovation au pouvoir dans nos communes. Jusqu’à quand ?
Cédric Szabo*
* directeur de l’Association des maires ruraux de France (1)
Note :
Couverture : Lila Castillo
Photo : La Vigotte, crédit : D. R.
1/ Également auteur de La Démocratie du quotidien, L’Aube, 2025